La nouvelle heloise
« La Nouvelle Héloïse » de Rousseau, lettre XXII, tome 2
EXPLICATION DE TEXTE
Julie ou la Nouvelle Héloïse est un roman épistolaire de Jean-Jacques Rousseau, écrivain et grand philosophe du siècle des Lumières. Ce roman a été conçu à la faveur d’une longue pause dans le combat philosophique et politique du « citoyen », esquissé dès 1756, puis conduit à une première version en quatreparties (1757), terminées en 1758, arrangées les deux années suivantes, enfin publiées en 1761. La Nouvelle Héloïse comporte six parties et cent soixante trois lettres. Il connut un très grand succès aux XVIIIème et XIXème siècles et a été réédité de nombreuses fois. Ce roman relate la passion mouvementée entre un jeune précepteur, Saint Preux, et son élève, Julie d’Etanges, une jeune femme noble.Roman philosophique, il est aussi la rêverie sentimentale d’un Rousseau qui a dit avoir créé un monde et des êtres « selon son cœur ». Rousseau y expose déjà les idées, concepts et théories qu’il développera dans ses œuvres futures, tout en peignant l’histoire d’une passion et en exaltant les sentiments amoureux. Nous nous attacherons à un extrait de Julie ou la Nouvelle Héloïse, la fin de la lettreXXII de Saint Preux à Julie située dans la deuxième partie du livre. Dans cette partie, Saint Preux a dû partir à Paris, loin de Julie qui a refusé de s’exiler à Londres avec lui. Il lui décrit donc la vie parisienne, puis Julie lui envoie un colis. Saint Preux lui décrit alors dans notre extrait son transport au moment de la réception et de l’ouverture du paquet, qui contient un portrait deJulie. Nous étudierons d’abord le rapprochement des deux amants, grâce à la lettre, au talisman, et aux rêves, puis la dualité de la passion, à la fois source de plaisir et de souffrance, et symbolisée par le talisman, objet magique et presque mystique. Aussi avec ce livre, Jean-Jacques Rousseau annonce en quelque sorte que le romantisme sera le thème principal de la littérature du siècle à venir.LETTRE XXII . A JULIE.
« Depuis ta lettre reçue je suis allé tous les jours chez M.Silvestre demander le petit paquet. Il n’était toujours point venu ; et dévoré d’une mortelle impatience, j’ai fait le voyage sept fois inutilement. Enfin la huitième, j’ai reçu le paquet. A peine l’ai-je eu dans les mains , que , sans payer le port , sans m’en informer , sans rien dire à personne , je suis sorticomme un étourdi ; et ne voyant le moment de rentrer chez moi , j’enfilais avec tant de précipitation des rues que je ne connaissais point , qu’au bout d’une demi-heure , cherchant la rue de Tournon où je loge , je me suis trouvé dans le Marais , à l’autre extrémité de Paris . J’ai été obligé de prendre un fiacre pour revenir plus promptement ; c’est la première fois que cela m’est arrivé le matinpour mes affaires : je ne m’en sers même qu’à regret l’après-midi pour quelques visites ; car j’ai deux jambes fort bonnes dont je serais bien fâché qu’un peu plus d’aisance dans ma fortune me fît négliger l’usage.
J’étais fort embarrassé dans mon fiacre avec mon paquet ; je ne voulais l’ouvrir que chez moi, c’était ton ordre. D’ailleurs une sorte de volupté qui me laisse oublier la commoditédans les choses communes me la fait rechercher avec soin dans les vrais plaisirs. Je n’y puis souffrir aucune sorte de distraction et je veux avoir du temps et mes aises pour savourer tout ce qui me vient de toi. Je tenais donc ce paquet avec une inquiète curiosité dont je n’étais pas le maître ; je m’efforçais de palper à travers les enveloppes ce qu’il pouvait contenir ; et l’on eût dit qu’il mebrûlait les mains à voir les mouvements continuels qu’il faisait de l’une à l’autre. Ce n’est pas qu’à son volume, à son poids, au ton de ta lettre, je n’eusse quelque soupçon de la vérité ; mais le moyen de concevoir comment tu pouvais avoir trouvé l’artiste et l’occasion ? Voilà ce que je ne conçois pas encore : c’est un miracle de l’amour ; plus il passe ma raison, plus il enchante mon coeur…