Mini-mémoire sur l’artgadz, langue des étudiants arts et métiers
En 1780, le Duc de la RocheFoulcault va fonder l’école des Arts et Métiers dans une ferme à Liancourt pour y instruire les pupilles de son régiment. L’école perdra son statut militaire en 1799 et de nouveaux centres ouvriront progressivement dans toute la France. Les étudiants y sont formés pour être les nouveaux ingénieurs, chefs d’ateliers ou d’industrie. En 1963, l’école passe finalement aurang d’École Normale Supérieure des Arts et Métiers.
Les étudiants des Arts et Métiers, les Gadz’Arts comme ils se nomment, ont pendant plus de deux cents ans mis au point et affiné un nouveau langage: l’argadz, leur permettant entre autre de ne pas être compris de l’ensemble de l’administration avec qui les conflits étaient récurrents.
L’argadz pourrait se définir comme un mélange dejargon militaire, industriel et mathématique, d’abréviations par différents procédés stylistiques, métaphores et d’autres manipulations de la langue pour rendre le français méconnaissable.
Dans le Livre d’Or distribué à la fin de la première année d’étude par la promotion marraine, on peut lire: « Les gadzarts usent d’un argot spécifique que l’on retrouve déjà dans les années 1880. […] Celangage n’est pas un jargon, sa syntaxe est celle du français […]. Ce langage était forgé spontanément par une collectivité homogène, [il est] d’autant plus riche en particularités que ceux qui le créèrent demeuraient de long mois sans contact direct avec le monde extérieur. »
L’argadz est en effet plus un « argot gadzarique » qu’un jargon propre à cette école d’ingénieurs: selon le dictionnaireLe Trésor de la Langue Française , le jargon désignerait un « code linguistique particulier à un groupe socio-culturel ou professionnel, à une activité, se caractérisant par un lexique spécialisé, difficilement compréhensible voire hermétique pour les non initiés », mais également un « langage résultant de l’altération, de la modification de la structure de la langue » ce qui n’est pas le cas del’argadz. L’argot est défini pour sa part comme le « langage permettant à un individu d’afficher son appartenance au groupe et de se distinguer de la masse des sujets parlants », selon ce même dictionnaire. Qui plus est l’argadz peut s’entendre comme une contraction des deux termes argot et gadzart, ce néologisme se définit par conséquent lui même.
Il serait donc intéressant d’observer quelssont les procédés utilisés pour faire de cet argot un langage accessible et compréhensible par les Gadz’Arts seuls.
On se penchera d’abord sur le système d’abréviations utilisé dans l’argadz puis on répertoriera les emprunts à différents jargons. On verra ensuite en quoi l’argadz relève du jeu plaisant avec la langue, et qu’il a quelques traits communs avec l’ancien français. Enfin, on étudieral’aspect graphique de cet argot gadzarique.
I- Le système d’abréviation
A/ L’apocope et l’aphérèse
Souvent, l’argot est caractérisé par l’apocope, la coupure de la syllabe finale d’un mot. Dans le langage courant, l’usage de termes comme photo est plus courant que le substantif exact: photographie. Il en va de même dans l’argadz, où l’apocope est l’une des règles degrammaire de cet argot. L’apocope est alors soulignée par le remplacement de la syllabe élidée par .
Ainsi la réun’ss désigne la réunion, la motiv’ss correspond à la motivation ou bien atel’ss signifie l’atelier. Jusque là rien de très compliqué, c’est accessible à la compréhension de tous. Mais tous les termes ne sont pas aussi simples: les abréviations portent parfois sur des mots empruntés àdifférents jargons et dont l’origine est donc moins connue. Il devient alors très difficile de retracer une étymologie quand le mot n’est plus entier. Sa provenance était sans doute évidente aux yeux des anciennes promotions, mais les actuels Gadz’Arts n’en connaissent plus forcément l’étymologie.
Les conscrits (étudiants en première année aux Arts et Métiers) vont donc recopier dans un…