Truffaut une certaine tendence du cinema francais
DIX OU DOUZE FILMS…
Si le Cinéma Français existe par une centaine de films chaque année, il est bien entendu que dix ou douze seulement méritent de retenir l’attention des critiques et des cinéphiles, l’attention donc de ces Cahiers. Ces dix ou douze films constituent ce que l’on a joliment appelé la Tradition de la Qualité, ils forcent par leur ambition l’admiration de la presse étrangère,défendent deux fois l’an les couleurs de la France à Cannes et à Venise où, depuis 1946, ils raflent assez régulièrement médailles, lions d’or et grands prix. Au début du parlant, le cinéma Français fut l’honnête démarquage du cinéma américain. Sous l’influence de Scarface nous faisions l’amusant Pépé le Moko. puis le scénario Français dut à Prévert le plus clair de son évolution, Quai des brumes deMarcel Carné reste le chef d’oeuvre de l’école dite du réalisme poétique. La guerre et l’après-guerre ont renouvelé notre cinéma. Il a évolué sous l’effet d’une pression interne, et au réalisme poétique – dont on peut dire qu’il mourrut en refermant derrière lui Les portes de la nuit – s’est substitué le réalisme psychologique, illustré par Claude Autant-Lara, Jean Delannoy, René Clément, YvesAllégret et Marcel Pagliero.
DES FILMS DE SCENARISTES
Si l’on veut bien se souvenir que Delannoy a tourné naguère Le Bossu et La Part de l’ombre, Claude Autant-Lara Le Plombier amoureux et Lettres d’amour, Yves Allégret La Boîte aux rêves et Les Démons de l’aube, que tous ces films sont justement reconnus comme des entreprises strictement commerciales, on admettra que les réussites ou les échecs deces cinéastes étant fonction des scénarios qu’ils choisissent, La Symphonie pastorale, Le Diable au corps, Jeux interdits, Manèges, Un homme marche dans la ville sont essentiellement des films de scénaristes. Et puis l’indiscutable évolution du cinéma français n’est-elle pas due essentiellement au renouvellement des scénaristes et des sujets, à l’audace prise vis-à-vis des chefs-d’oeuvre, à laconfiance, enfin, faite au public d’être sensible à des sujets généralement qualifiés de difficiles? C’est pourquoi il ne sera question ici que des scénaristes, ceux qui, précisément, sont à l’origine du réalisme psychologique au sein de la Tradition de la Qualité : Jean Aurenche et Pierre Bost, Jacques Sigurd, Henri Jeanson (nouvelle manière), Robert Scipion, Roland Laudenbach, etc…
NUL N’IGNOREPLUS AUJOURD’HUI…
Après avoir tâté de la mise en scène en tournant deux courts métrages oubliés, Jean Aurenche s’est spécialisé dans l’adaptation. En 1936 il signait, avec Anouilh, les dialogues de Vous n’avez rien à déclarer et Les Dégourdis de la 11e. Dans le même temps Pierre Bost publiait à la N.R.F. d’excellents petits romans. Aurenche et Bost firent équipe pour la première fois enadaptant et dialoguant « Douce », que mit en scène Claude Autant-Lara. Nul n’ignore plus aujourd’hui qu’Aurenche et Bost ont réhabilié l’adaptation en bouleversant l’idée que l’on en avait, et qu’au vieux préjugé du respect à la lettre ils ont substitué, dit-on, celui contraire du respect à l’esprit, au point qu’on en vienne à écrire cet audacieux aphorisme : « Une adaptation honnête est une trahison »(Carlo Rim, « Travelling et Sex-appeal »).
DE L’EQUIVALENCE..
De l’adaptation telle qu’Aurenche et Bost la pratiquent, le procédé dit de l’équivalence est la pierre de touche. Ce procédé suppose qu’il existe dans le roman adapté des scènes tournables et intournables et qu’au lieu de supprimer ces dernières (comme on le faisait naguère) il faut inventer des scènes équivalentes, c’est-à-dire telles quel’auteur du roman les eût écrites pour le cinéma. « Inventer sans trahir », tel est le mot d’ordre qu’aiment à citer Jean Aurenche et Bost, oubliant que l’on peut aussi trahir par omission. Le système d’Aurenche et Bost est si séduisant dans le l’énoncé même de son principe, que nul n’a jamais songé à en vérifier d’assez près le fonctionnement. C’est un peu ce que je me propose de faire ici….