Satyr

novembre 28, 2018 Non Par admin

Objet d’étude : L’éloge et le blâme

“ Marcher d’un grave pas… ”
de Joachim du Bellay

INTRODUCTION
Le séjour de Du Bellay à Rome lui a inspiré de nombreux poèmes à la veine élégiaque ou satirique. C’est la tonalité satirique qui préside à l’élaboration du quatre-vingt-sixième sonnet du recueil des Regrets, publié en 1558, illustrant les vers de la dédicace qu’il destinait à monsieurd’Avanson, conseiller du roi :
« Et c’est pourquoy d’une doulce satyre
Entremeslant les espines aux fleurs,
Pour ne fascher personne de mes pleurs,
J’appreste icy le plus souvent à rire. »
Comme fréquemment dans cette partie du recueil, c’est la cour romaine qui est ici caricaturée, et le poète épingle un défaut majeur, caractéristique du courtisan, l’hypocrisie.

COMPOSITION
FORME :Sonnet régulier, même si la Pléiade dont faisait partie Du Bellay, créatrice du genre, préférait le décasyllabe.

FOND :
Le poème est composé d’une seule longue phrase.
Les trois premières strophes, construites sur le même modèle à partir d’un infinitif (ce que l’on trouve déjà dans le sonnet précédent), relèvent avec dérision certaines attitudes que l’on devine propres au courtisan.La dernière strophe, conclusive, révèle clairement la cible de la satire et introduit une opposition entre la cour de Rome et la personne-même du poète.

EXPLICATION LINEAIRE

Le premier quatrain débute par le procédé majeur, l’emploi de la proposition infinitive (il y en aura quatre dans ce quatrain, neuf sur l’ensemble du poème) pour stigmatiser à chaque fois une attitude caractéristiqued’un certain défaut. Ce procédé amène forcément à sous-entendre la personne mise en cause, puisqu’elle supprime les pronoms personnels et, par conséquent, empêche l’individualisation, généralise l’attitude. L’infinitif « marcher » est précisé par le groupe nominal « d’un grave pas » et introduit un adjectif, « grave », qui sera repris deux fois. L’auteur privilégie ici le rythme ternaire souligné par lepolysyndéton (« et » repris) et la répétition significative pour marquer le caractère ostentoire et mécanique de l’attitude du courtisan : cette gravité, ce sérieux affichés ne sont que de façade. L’aspect caricatural est souligné par la précision au singulier « d’un grave sourcil » relayé par un autre qui lui répond comme un écho, sous la forme d’un oxymoron, « d’un grave x souris ». La deuxièmeproposition infinitive, « à chacun faire fête », illustre le défaut essentiellement dénoncé dans cette satire, l’hypocrisie : le « grave souris » s’adresse à tous, sans exception. Allitération en [f]. Les effets sonores, nombreux dans l’ensemble du poème, témoignent d’une intention plus satirique que poétique. 3ème proposition infinitive : « balancer tous ses mots » = peser avec prudence tout ce qu’on dit ?refus de la spontanéité de la communication, de l’effusion, ce qui est renforcé par la suite, avec le 4ème infinitif, précisé, dans une structure binaire parallèle qui se répond du point de vue phonique comme sémantique : « répondre de la tête
Avec un Messer non, ou bien un Messer si. »
Là encore, la binarité, le parallélisme, l’accentuation régulière, l’antithèse entre non et si accentuentavec dérision le caractère mécanique et caricatural de l’attitude du courtisan peu désireux de se compromettre. L’utilisation du vocabulaire étranger au style direct anime, fait couleur locale et dépayse avec humour le lecteur français.

Le deuxième quatrain poursuit les mêmes procédés : infinitifs, polysyndéton, mots italiens  » « E cosi », « son servitor ». « Souvent » ? caractère répétitif et doncmécanique. 2ème vers, dénonciation claire de l’hypocrisie avec les paroles « son servitor », mais surtout le verbe « contrefaire » qui veut dire « faire semblant ». Les deux vers suivants soulignent avec dérision un autre défaut : « discourir », parler d’abondance de ce qu’on fait semblant de connaître. Vanité + mensonge. Allusions historiques aux conflits d’intérêt et aux guerres entre Rome, alliée des…