Préserver entre les générations une culture commune vous semble-t-il important?
L’affaire du Sire de Coucy vu par Guillaume de Nangis
» Il advint en ce temps qu’en l’abbaye de Saint-Nicolas au bois qui est près de la cité de Laon, demeuraient trois nobles jeunes gens [enfants] natifs de Flandre, venus pour apprendre le langage de France. Ces jeunes gens allèrent jouer un jour dans le bois de l’abbaye avec des arcs et des flèches ferrées pour tirer et tuer les lapins. Ensuivant leur proie qu’ils avaient levée dans le bois de l’abbaye, ils entrèrent dans un bois appartenant a Enguerran le seigneur de Coucy. Ils furent pris et retenus par les sergents qui gardaient le bois. Quand Enguerran apprit ce qu’avaient fait ces jeunes gens par ses forestiers, cet homme cruel et sans pitié fit aussitôt pendre les jeunes gens. Mais quand l’abbé de Saint-Nicolas qui les avaiten garde l’apprit, ainsi que messire Gilles le Brun, connétable de France au lignage de qui appartenaient les jeunes gens, ils vinrent trouver le roi Louis et lui demandèrent qu’il leur fît droit du sire de Coucy. Le bon roi droiturier, dès qu’il apprit la cruauté du sire de Coucy, le fit appeler et convoquer à sa cour pour répondre de ce vilain cas. Quand le sire de Coucy entendit le commandementdu roi, il vint à la cour et dit qu’il ne devait pas être contraint à répondre sans conseil ; mais il voulait être jugé par les pairs de France selon la coutume de baronnie. Mais il fut prouvé contre le seigneur de Coucy par le registre de la cour de France que le sire de Coucy ne tenait pas sa terre en baronnie car la terre de Bove et la terre de Gournay qui entraînaient la seigneurie et ladignité de baronnie furent séparées de la terre de Coucy par partage entre frères ; c’est pourquoi il fut dit au seigneur de Coucy qu’il ne tenait pas sa terre en baronnie. Ces faits ayant été établis devant le roi Louis, il fit prendre et saisir le sire de Coucy, non pas par ses barons ni par ses chevaliers, mais par ses sergents d’armes et le fit mettre en prison dans la tour du Louvre et fixa lejour où il devait répondre en présence des barons. Au jour dit les barons de France vinrent au palais du roi et quand ils furent assemblés le roi fit venir le sire de Coucy et le contraignit à répondre sur le cas susdit. Le sire de Coucy, par la volonté du roi, appela alors tous les barons qui étaient de son lignage à son conseil, et ils vinrent presque tous et ils se retirèrent à part, si bien quele roi demeura presque tout seul, sauf quelques prud’hommes de son conseil. Mais l’intention du roi était de rester inflexible et de prononcer un juste jugement [justum judicium judicare], c’est-à-dire de punir ledit sire selon la loi du talion et de le condamner à une mort semblable [à celle des jeunes gens]. Quand les barons s’aperçurent de la volonté du roi, ils le prièrent et requirent trèsdoucement d’avoir pitié du sire de Coucy et de lui infliger une amende à sa décision. Le roi, qui brûlait de faire justice [qui moult fut échaffé de justice faire], répondit devant tous les barons que s’il croyait que Notre Seigneur lui sût aussi bon gré de le pendre que de le relâcher, il le pendrait, sans se soucier des barons de son lignage. Finalement, le roi se laissa fléchir par les humblesprières des barons et décida que le sire de Coucy rachèterait sa vie avec une amende de dix mille livres et ferait bâtir deux chapelles où l’on ferait tous les jours des prières chantées pour l’âme des trois jeunes gens. Il donnerait à l’abbaye le bois où les jeunes gens avaient été pendus et promettrait de passer trois ans en Terre sainte. Le bon roi droiturier prit l’argent de l’amende, mais ne lemit pas dans son trésor, il le convertit en bonnes œuvres […]. Laquelle chose fut et doit être un grand exemple pour tous ceux qui font respecter la justice, car un homme très noble et de si haut lignage, qui n’était accusé que par de pauvres gens, parvint difficilement à racheter sa vie devant celui qui tenait et gardait justice. »
Commentaire du texte
Le XIIIème siècle n’est pas…