Texte humaniste de rabelais
« Thélème »
François Rabelais,
Gargantua (1534)
Chapitre 57 (extrait)
A l’issue de la guerre contre Picrochole, Gargantua récompense un moine, frère Jean, qui s’est distingué au combat. Il faitconstruire pour lui l’abbaye de Thélème. Cet édifice, véritable château de la Renaissance, accueille ses pensionnaires selon des règles particulières.
Toute leur vie était régie non par des lois,des statuts ou des règles, mais selon leur volonté et leur libre arbitre. Ils sortaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur en venait.Nul ne les éveillait, nul ne les obligeait à boire ni à manger, ni à faire quoi que ce soit. Ainsi en avait décidé Gargantua. Et leur règlement se limitait à cette clause :
FAIS CE QUE TU VOUDRASParce que les gens libres, bien nés, bien éduqués, conversant en bonne société, ont naturellement un instinct, un aiguillon qu’ils appellent honneur et qui les pousse toujours à agir vertueusement etles éloigne du vice. Quand ils sont affaiblis et asservis par une vile sujétion ou une contrainte, ils utilisent ce noble penchant, par lequel ils aspiraient librement à la vertu, pour se défaire dujoug de la servitude et pour lui échapper, car nous entreprenons toujours ce qui est défendu et convoitons ce qu’on nous refuse.
Grâce à cette liberté, ils rivalisèrent d’efforts pour faire tous cequ’ils voyaient plaire à un seul. Si l’un ou l’une d’entre eux disait : «buvons», tous buvaient ; si on disait : «jouons», tous jouaient ; si on disait : «allons nous ébattre aux champs », tous yallaient. Si c’était pour chasser au vol ou à courre, les dames montées sur de belles haquenées, avec leur fier palefroi, portaient chacune sur leur poing joliment ganté un épervier, un lanier, un émerillon; les hommes portaient les autres oiseaux.
Ils étaient si bien éduqués qu’il n’y avait aucun ou aucune d’entre eux qui ne sût lire, écrire, chanter, jouer d’instruments de musique, parler cinq ou…