Réflexions sur le miroir
PRÉSENTATION :
RÉFLEXIONS SUR LE MIROIR
Fabienne POMEL
Université Rennes 2
L’objet
Si le Moyen Âge connaît comme l’Antiquité les miroirs métalliques généralement
petits et bon marché, il voit le développement des miroirs de cristal de roche et
de verre, parallèlement à l’essor de l’optique au XIIIe siècle dans le sillage des travaux
de l’Arabe Alhazen, de Robert Grossetête, GuillaumePeckam ou Vitellion.
Le miroir métallique, rarement sans taches à cause de l’oxydation, est généralement
de qualité médiocre. De plus, ses formes varient : le miroir peut être sphérique,
hémisphérique ou plan. L’exposition de Rouen 1 a donné un vaste et passionnant
panorama de cet objet à travers l’histoire.
Le miroir peut être maniable, de poche, à manche ou fixé sur un pied. Dans
le Livre deséchecs amoureux moralisés, Évrard de Conty propose une typologie du
miroir en sept espèces à partir des distinctions principales entre miroir plan,
concave ou convexe, expliquant pour chacun, en termes scientifiques et géométriques,
les déformations spécifiques qu’ils produisent 2. Déjà, Jean de Meun, dans
le Roman de la Rose, avait énuméré les pouvoirs d’illusion des différentes sortes demiroirs 3. Ces approches optiques et techniques ne sont pas sans lien avec la symbolique
du miroir : il faut en effet se souvenir de la matérialité de l’objet au Moyen
Âge pour mieux comprendre son traitement métaphorique et symbolique.
1 Miroirs, jeux et reflets depuis l’Antiquité, catalogue des expositions de Rouen, Dieppe et Bernay,
Somogy, 2000. Nous remercions Geneviève Sennequier d’êtrevenue nous présenter la conception
et les apports de cette exposition.
2 Évrard de Conty, Le livre des échecs amoureux moralisés, éd. B. Roy et F. Guichard-Tesson, Montréal,
CERES, Bibliothèque du Moyen Français, 1993, p. 700-707.
3 Éd. et trad. A. Strubel, Paris, Le Livre de Poche, Lettres gothiques, 1992, v. 18157-18271.
Objet du quotidien, souvent associé au peigne 4, le miroir renvoie àla femme,
au corps, au désir, et de plus en plus au luxe, et à la beauté. Bruno Roy aborde
ainsi les valves de miroir, en ivoire richement sculpté, dans le cadre de l’échange
concret de cadeaux auquel l’objet pouvait donner lieu et dans la dimension érotique
de la conquête amoureuse. Reflétant le monde extérieur dans un espace
réduit, le miroir se voit attribuer la qualité essentielle detotalisation : il réduit,
synthétise et enclôt des choses, les concentrant dans son unité. C’est ainsi que le
miroir a pu fournir un titre aux vastes entreprises de compilations encyclopédiques.
À cette qualité, s’adjoint alors celle d’ordonnancement. Mais souvent
bombé et convexe, il est aussi déformant et par conséquent associé à la tromperie
et à l’illusion. Taché, il renvoie à l’imperfectionou à la souillure du péché originel.
Comme tous les objets, il se prête donc à une pluralité de connotations, oscillant
entre perfection et imperfection, connaissance et illusion. Mais fondamentalement,
le miroir pose la question de l’« être comme » qui est au coeur des
réflexions sur l’identité, sur la connaissance et sur la représentation de soi, du
monde ou de Dieu, qu’elle soitintellectuelle, visuelle ou plus généralement artistique.
Dans le reflet, le miroir conjoint l’identité et la différence, selon le principe
de l’analogie, fondamental au Moyen Âge pour penser l’homme, le monde et l’art.
Quelles interrogations pour des littéraires ?
Au cours des trois années du séminaire 5, nous nous sommes demandés quels
textes et genres privilégient cet objet, comment il est mis enscène, dans quelles
fonctions narratives ou symboliques, dans quels types d’épisodes et en liaison avec
quels personnages et objets. Les récits initiatiques à enjeu identitaire et les textes
encyclopédiques et/ou didactiques ont prioritairement retenu notre attention,
mais les textes de la mouvance lyrique, poétiques ou narratifs, ont été également
mobilisés. Nous avons tenté de repérer et…