Philosophie – conscience, vie et subjectivité
Introduction – Crise du sujet, nihilisme et problème du monde.
Notre question directrice : qu’est-ce qui est philosophiquement en jeu dans les notions de conscience, de vie et de subjectivité ? La notion de sujet a été élaborée par la philosophie moderne, cartésienne et post-cartésienne, qui entre en crise au XXème siècle. Cette crise ouvre la voie au nihilisme : plus rien n’est totalementfondé, en particulier la notion de sujet. La notion même de monde devient problématique, parce que menacée elle aussi par le nihilisme.
Dans les année 1880, Nietzsche est un précurseur de la caractérisation (et de la critique) du nihilisme :
« Ce que je raconte est l’histoire des deux siècles prochains. Je décris ce qui vient, ce qui ne peut plus venir d’une autre manière : l’avènement dunihilisme. Cette histoire peut être relatée dès maintenant : car c’est la nécessité elle même qui est ici à l’œuvre. Cet avenir parle déjà par mille signes, ce destin s’annonce partout : pour cette musique de l’avenir toutes les oreilles se sont d’ores et déjà affinées. Notre culture européenne tout entière se meut depuis quelque temps déjà, avec une torturante tension qui croît de décennies endécennies, comme portée vers une catastrophe : inquiète, violente, précipitée : comme un fleuve qui veut en finir, qui ne cherche plus à revenir à soi, qui craint de revenir à soi. » Fragments posthumes 1887-1888 p.362 dans l’édition Gallimard des œuvres complètes
Le nihilisme professe que toutes les valeurs sont relatives, aucune n’est absolue, donc en fait il n’y a pas de valeur. Le XXème sièclemarque effectivement la crise intestinale de l’Europe ; nous vivons actuellement l’époque que le philosophe tchèque Jan Patocka appelle l’Europe après l’Europe. Ce qu’on appelle aujourd’hui, un peu partout et sans trop y réfléchir, « la crise » est vraiment la crise des valeurs, le flottement des valeurs, c’est-à-dire, aussi bien et tout cynisme bu, le régime du capital : la bourse…
Dans cettesituation (comme dans toute autre d’ailleurs) philosopher, ce n’est pas résoudre des questions, c’est susciter et créer des problèmes (« bien poser les problèmes », disait en substance Bergson dans La pensée et le mouvant). Pour susciter un problème, il faut partir de ce qui est bien connu, de ce qu’on croit savoir, d’un système de croyance communément partagé qui fonctionne comme une opinion, etle soumettre à une critique plus exigeante. Appliquons donc cette méthode à notre sujet. Conscience et subjectivité sont deux notions qui se rapportent à l’homme et à lui seul. Ce sont deux prédicats qui sont attribuables à l’homme en propre. Nous sommes des consciences, nous sommes des sujets, c’est l’acquis incontestable du cartésianisme. Pour Descartes en effet, seul l’homme a une conscience ;l’animal est une machine (exemplarité absolue de l’homme : par son « libre-arbitre » il est le seul à pouvoir être dit être presque à l’égal de Dieu) : c’est bien là professer un humanisme radical. Le concept de vie, lui, se rapporte au domaine du végétal, de l’animal et de l’humain, les vivants. Ce concept de vie, communément, est compris comme ayant une amplitude plus large que les deux précédents.La vie n’est donc pas le propre de l’homme. Quant à savoir comment la vie s’adjoint à la matière, communique avec la matière, c’est un problème extrêmement complexe que l’opinion commune n’aborde pas : il y a de la vie, il y a de la matière. L’homme seul est un sujet conscient, alors qu’il partage la vie avec les vivants. Il s’ensuit cette conséquence : l’homme est tout à la fois et en même tempsune entité naturelle et un être différent des autres êtres naturels, il appartient et n’appartient pas à la nature (c’est pourquoi on a forgé le concept de culture). Où commence la culture, ou finit la nature ? Le sens commun évite les contradictions logiques de ce type. L’homme est dès lors un étrange doublet, un étrange mixte de conscience et de vie – on pourrait dire aussi de subjectivité…