Mozart
Depuis au-delà de deux siècles, l’histoire a été racontée maintes fois : Mozart, ce phénomène incomparable de la nature incarné dans un enfant espiègle qui produisit des chefs-d’œuvre avant l’âge de 10 ans mais qui a été un incompris perpétuel et qui a été reconduit, par négligence, à une sépulture de pauvre. Il s’agit de l’une des plus tragiques et des plus poignantes histoires que l’on puisseretrouver dans le domaine de la musique. Mais une bonne partie de cette histoire n’est pas véridique. De façon certaine, Mozart a été un prodige qui n’a pas eu d’égal, écrivant ses premières symphonies à l’âge de 8 ans et son premier opéra à l’âge de 12 ans. Schubert et Mendelssohn ont produit des œuvres plus originales et plus importantes dans leur adolescence que ne le fit Mozart. En contrasteavec Schubert, l’atteinte de la maturité a été plus lente à survenir chez Mozart et celui-ci a dû travailler avec grands soins (toutefois, rapidement); la plupart de ses grandes œuvres ont été produites durant les dix dernières années de sa vie.
Durant cette décennie, il fut respecté comme tout autre compositeur et a été rémunéré en conséquence, obtenant plus que Haydn ne reçut durant la plusgrande partie de sa carrière. Souvent, il reçut le double des cachets normalement versés pour écrire un opéra. Il manqua quelquefois d’argent, comme il arrive à toute personne ayant atteint une certaine notoriété, suite à une combinaison de mauvaise gestion et de malchance. Les lettres de supplication qu’il écrivit à des amis au cours des dernières années sont certainement pathétiques; mais, aumoment de sa mort, il avait presque remboursé toutes ses dettes, et était, à la mi-trentaine, en voie de devenir réellement prospère.
Au cours de la dernière année de sa vie, alors que la légende veut que Mozart était sur le point de mourir de faim, il a probablement connu sa meilleure année, au plan financier, alors qu’il a eu des revenus équivalents à 100,000$. Comme toute autre personne, il a euses succès et ses ratés, il était loin d’être un incompris. Un critique allemand contemporain qui dénonçait Don Giovanni comme étant quelque chose qui « attaquait la raison, insultait la moralité, et affreusement mêlait la vertu et les sentiments », se sentit obligé d’ajouter « si jamais une nation devait être fière d’un de ses fils, l’Allemagne se devait d’être fière de Mozart… Jamais, maisjamais auparavant, la grandeur de l’esprit humain n’a été aussi tangible, et jamais l’art de la composition n’a atteint des sommets aussi élevés ». Haydn, son seul pair vivant, disait que Mozart était le plus grand compositeur qu’il ait connu ou qu’il ait entendu.
En son temps comme aujourd’hui, Mozart inspire la même réputation pour plus ou moins les mêmes raisons – un génie incomparable et unmodèle pour le futur. Ce n’est que le 19e siècle qui ne le comprenait pas, tant sa musique que sa vie, et qui insista pour que son histoire devienne une grande tragédie romantique.
Au niveau de sa personnalité, alors qu’il est vrai que Mozart a écrit quelques lettres particulièrement pornographiques à des amis et à sa famille, et qu’il ait une propension à gambader comme un enfant même rendu à unâge adulte, d’autres lettres et des rapports contemporains révèlent un homme d’une finesse d’esprit immense et d’une vitalité intellectuelle, parlant plusieurs langues, un observateur averti tant des hommes que des idées, et un artiste attentionné capable d’analyser sérieusement son propre travail et celui des autres. Et comme coup final à la légende de Mozart, il a été enterré de la même manière quel’aurait été tout viennois de son temps, riche ou pauvre. La « tombe de pauvre » n’est qu’un autre mythe.
Posons-nous deux questions. La première : Étant donné que les dieux confèrent, alors et aujourd’hui, des dons phénoménaux à un enfant, pourquoi Mozart est-il la seule personne à avoir reçu ces dons ? Cette question reste, évidemment, sans réponse. Mais la morale est que l’on ne peut…