Les figures parentales dans quelques textes autobiographiques de chessex
Les figures parentales dans quelques textes autobiographiques de Jacques Chessex.
La question de la représentation des figures parentales offre un éclairage intéressant sur les textes autobiographiques de l’écrivain vaudois Jacques Chessex. Parler de soi au travers de la mise en scène de l’autre peut, à prime abord, paraître une démarche contradictoire. Cependant, il s’avère que la placeaccordée par Chessex à ses parents dans ses textes littéraires permet de mettre à jour la diversité et la complexité de l’écriture autobiographique d’un écrivain auquel on a souvent reproché d’être nombriliste.
La figure du père – Pierre Chessex – traverse tous les écrits considérés comme « autobiographiques »[1] de Chessex. Ayant mis fin à ses jours à l’âge de quarante-huit ans, le 14 avril 1956.alors que son fils était âgé de vingt-deux ans, il sera brièvement évoqué dans Reste avec nous (1967), puis apparaîtra comme une figure centrale dans plusieurs textes. Du dernier chapitre du Portrait des Vaudois (1969) intitulé « Voir sa mort » à L’Imparfait (1996), en passant par le « Portrait d’une ombre » qui constitue le troisième volet de Bréviaire (1976), la figure du suicidé sera posée parChessex à l’origine de différents aspects de son identité d’homme et d’écrivain. De même, la présence de la mère – Lucienne Chessex, née Vallotton – se retrouve en filigrane de toute l’œuvre. Figure discrète, évoquée en peu de lignes, ou de pages, dans les textes autobiographiques antérieurs à sa mort, en 2001, Chessex lui consacrera un long texte intitulé Pardon mère en 2008, où il mettrafinalement en scène une filiation d’un tout autre ordre.
L’importance et la récurrence des figures parentales dans les textes autobiographiques n’impliquent pas une uniformité dans leur représentation. Echelonnés sur quarante ans, les textes autobiographiques de Chessex accordent à l’une et à l’autre une importance variable, et s’attachent à divers aspects de leurs personnalités et de leurs parcoursrespectifs en fonction du parcours professionnel et « existentiel » de l’écrivain. Pour autant, ces différences nous semblent pouvoir être comprises comme un ensemble de variations à partir d’un nœud complexe, donné d’emblée par Chessex, plutôt que comme une succession d’images différentes, exclusives les unes des autres. Pratiquant une écriture qu’il qualifie lui-même de « baroque », Chessex mêledès le Portrait des Vaudois des réflexions d’ordre psychologique, affectif, culturel, historique, littéraire et, comme il le dit lui-même, « métaphysique ». Dans cette perspective, nous nous proposons d’essayer de dégager, dans ce travail, en passant d’un texte à l’autre, les principales manières dont différentes réflexions se cristallisent autour des figures parentales, éclairant par là différentesfacettes de l’écrivain.
Visant à proposer des pistes de réflexion, plutôt que l’analyse détaillée requise par l’ampleur et la profondeur des enjeux convoqués par la représentation des figures parentales, notre parcours nous conduira à aborder, dans un premier temps, la manière dont Chessex se définit comme écrivain vaudois. Il s’agira ensuite d’essayer de préciser la manière dont s’articuleun travail « cathartique » de l’écrivain relatif à la perte des parents, avec le questionnement plus philosophique sur la manière dont l’absence et la mort influencent la perception et la manière de donner sens à une existence.
1 Convocation de la figure paternelle dans la définition de la « fibre vaudoise » de Chessex.
Le premier texte où Pierre Chessex a une importance vraiment centraleprend place dans le Portrait des Vaudois. Intitulé « voir sa mort » il constitue le dernier chapitre du livre, où Chessex conjugue une réflexion sur l’identité du père, l’identité vaudoise, et sa propre identité d’écrivain vaudois.
Dans cette perspective, Chessex met en évidence et articule deux traits de la figure paternelle. D’une part, il présente son père comme la victime de la propension…