Fonctions de l ‘inconscient
Ce texte, résumé des interventions de Lacan au VIe Colloque de Bonneval, fut publié dans L’inconscient, Desclée de Brouwer, 1966, pp. 159-170. La rédaction de ces interventions a été condensée par Jacques Lacan dans ces pages écrites en mars 1964 à la demande de Henri Ey. Elles constituèrent par leur importance l’axe même de toutes les discussions qui eurent lieu lors de ce Colloque.
(159)Dansun colloque comme celui-ci, conviant, au titre de leur technique à chacun, des philosophes, des psychiatres, des psychologues et des psychanalystes, le commentaire manque à s’accorder sur le niveau de vérité où se tiennent les textes de Freud.
Il faut, sur l’inconscient, de l’expérience freudienne aller au fait.
L’inconscient est un concept forgé sur la trace de ce qui opère pour constituer lesujet.
L’inconscient n’est pas une espèce définissant dans la réalité psychique le cercle de ce qui n’a pas l’attribut (ou la vertu) de la conscience.
Il peut y avoir des phénomènes qui relèvent de l’inconscient sous ces deux acceptions : elles n’en restent pas moins l’une à l’autre étrangères. Elles n’ont entre elles de rapport que d’homonymie.
Le poids que nous donnons au langage comme causedu sujet, nous force de préciser : l’aberration florit de rabattre le concept premier indiqué, à l’appliquer aux phénomènes ad libitum enregistrables sous l’espèce homonyme ; restaurer le concept à partir de ces phénomènes, n’est pas pensable.
Accusons notre position, sur l’équivoque à quoi prêteraient le est et le n’est pas de nos positions de départ.
L’inconscient est ce que nous disons, sinous voulons entendre ce que Freud présente en ses thèses.
Dire que l’inconscient pour Freud n’est pas ce qu’on appelle ainsi ailleurs, n’y ajouterait que peu, si l’on n’entendait pas ce que nous voulons dire : que l’inconscient d’avant Freud n’est pas purement et simplement. Ceci parce qu’il ne dénomme rien qui vaille plus comme objet, ni qui mérite qu’on lui donne plus d’existence, que ce qu’ondéfinirait à le situer dans l’in-noir.
L’inconscient avant Freud n’est rien de plus consistant que cet in-noir, soit l’ensemble de ce qu’on ordonnerait aux sens divers du mot noir, de ce qu’il refuserait l’attribut (ou la vertu) de la noirceur (physique ou morale).
Qu’y a-t-il de commun, – pour prendre les quelques huit définitions que Dwelshauvers en collationne dans un livre ancien (1916), maispas tellement hors de date de ce que l’hétéroclite ne s’en verrait pas réduit à le refaire de nos jours, – qu’y a-t-il de commun en effet entre l’inconscient de la sensation (dans les effets de contraste ou d’illusion dits optiques), l’inconscient d’automatisme que développe l’habitude, le coconscient ( ?) de la double personnalité, les émergences idéiques d’une activité latente qui s’impose commeorientée dans la création de la pensée, la télépathie qu’on veut rapporter à cette dernière, le fonds acquis, voire intégré de la mémoire, le passionnel qui nous dépasse dans notre caractère, l’héréditaire qu’on reconnaît dans nos dons naturels, l’inconscient rationnel enfin ou l’inconscient métaphysique qu’implique « l’acte de l’esprit » ?
(160)(Rien en cela ne se rassemble, sinon parconfusion, de ce que les psychanalystes y ont adjoint d’obscurantisme, à ne pas distinguer l’inconscient de l’instinct, ou comme ils disent de l’instinctuel, – de l’archaïque ou du primordial, en une illusion décisivement dénoncée par Claude Lévi-Strauss, – voire du génétique d’un prétendu « développement »).
Nous disons qu’il n’y a là rien de commun à se fonder dans une objectivité psychologique,celle-ci fût-elle étendue des schémas d’une psychopathologie, et que ce chaos n’est que le réflecteur à révéler de la psychologie l’erreur centrale. Cette erreur est de tenir pour unitaire le phénomène de la conscience lui-même, de parler de la même conscience, tenue pour pouvoir de synthèse, dans la plage éclairée d’un champ sensoriel, dans l’attention qui le transforme, dans la dialectique du…