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août 31, 2018 Non Par admin

C’est un tournant dans sa vie. Voilà que l’Australie blanche, celle qui mène depuis deux cents ans une politique d’anéantissement de ses ancêtres aborigènes, a décerné à Alexis Wright le plus prestigieux prix littéraire du pays. Et voilà aussi que Carpentaria est un phénomène littéraire. Publié par un petit éditeur après avoir été refusé par tous les gros, il en est à sa septième réimpression ets’est vendu à 30 000 exemplaires contre 2 000 à 3 000 habituellement en Australie. Et voilà enfin que certains lecteurs représentant cette même Australie blanche sont venus lui demander pardon lors des rencontres organisées pour la présentation de son roman à travers tout le pays.
Alexis Wright a donné rendez-vous en plein coeur de Melbourne, où elle réside, devant l’entrée principale de la garede Flinders Street, monument de l’architecture monumentale édouardienne. Physique d’écureuil : petite, menue, teint clair, grands yeux noisette, vêtements aux tons de feuilles mortes. On décide d’aller se poser au musée de Melbourne où se trouve la galerie Bunjilaka consacrée aux Aborigènes. Devant le bâtiment, une classe de fillettes la tête ceinte d’un strict foulard islamique blanc. AlexisWright a entendu parler de la polémique qui a entouré, en France, le vote de la loi interdisant le port des signes religieux à l’école. «Je ne comprends pas, c’est leur liberté», dit-elle. De la part d’une descendante d’un peuple que l’Australie blanche a voulu assimiler de force après avoir tenté de l’exterminer, la phrase prend un tour particulier.
Le premier ouvrage d’Alexis Wright Les plaines del’espoir, narre l’histoire d’Ivy, petite fille aborigène arrachée à sa mère pour, comme des dizaines de milliers d’autres, être placée à l’orphelinat d’une mission religieuse qui se chargera de lui «blanchir» l’âme. La vie d’Ivy est une fresque tragique, une descente onirique aux enfers dans un monde halluciné. Dans quelle mesure cette histoire fait-elle écho à celle d’Alexis Wright ? «Monarrière-grand-mère a été volée par un éleveur quand elle était une toute petite fille, et je ne sais pas ce qui a pu arriver à sa famille, s’ils ont été massacrés.» Des bribes de cette histoire lui ont été transmises par sa grand-mère. Alexis Wright a déduit le reste des ouvrages consacrés par nombre de chercheurs aux Aborigènes. «Ces enfants travaillaient comme esclaves dans ces propriétés et servaientsouvent d’esclaves sexuels», ajoute-t-elle.
Alexis Wright se livre peu. Elle est chaleureuse, attentive, son visage est ouvert, mais le regard reste insondable sous des sourcils épais. Elle a grandi dans la ville aborigène de Cloncurry, dans le nord-ouest de l’Etat du Queensland, «où la démarcation était très claire entre les Noirs et les Blancs». Elle ne parle que quelques mots de naanyi, lalangue de ses ancêtres. «Elle n’était pas enseignée à l’école. Il ne reste aujourd’hui que très peu de locuteurs. Le naanyi est en train de mourir.» Elle raconte une enfance plutôt heureuse auprès de sa grand-mère. «Dès toute petite, je devais avoir dans les 3 ans, je faussais compagnie à ma mère et j’allais chez ma grand-mère. Elle habitait à quelques kilomètres de là. On se promenait toutes les deuxdans le bush. On pêchait, elle me racontait de merveilleuses et étranges histoires. Un arbre n’était pas juste un arbre, il pouvait agir étrangement s’il le voulait.»
Ces «histoires» l’ont solidement «ancrée» dans la mythologie et la terre aborigènes. Collège, lycée, université, «ma mère a toujours insisté auprès de ma soeur et moi sur le fait que nous étions aussi capables que n’importe quid’autre. Elle voulait le meilleur pour nous. Elle m’a transmis sa détermination». D’arrière-grand-père, de grand-père, il n’est pas question. Son père, bouvier, est mort quand elle avait 5 ans. «C’était une bonne personne. J’ai grandi dans une famille de femmes.» Elle-même a trois filles d’un mari ukrainien. Certains de ces ancêtres étaient-ils blancs ? Alexis Wright a la peau très claire. Dans…