Le chocolat
Quand on évoque Fanon psychiatre, c’est le plus souvent en quelques lignes, à la fin, pour être sûr de n’avoir rien oublié ; ou en introduction, histoire de respecter la chronologie. Dans une viepleine d’élaboration et de luttes politiques, la psychiatrie fait figure d’appendice, d’à-côté professionnel en marge de l’engagement, ou de période, formatrice sans doute, mais bientôt dépassée.Peut-être y a-t-il une part de légitimité à procéder ainsi, l’héritage laissé par Fanon à ce que l’on peut appeler, sans emphase, « l’histoire de l’humanité », relevant davantage du politique que dupsychiatrique.
A y regarder d’un peu plus près, cependant, on s’aperçoit que le psychologique et le politique chez Fanon ne s’opposent pas comme deux moments que sépareraient la prise de conscience etl’engagement, comme deux étapes successives sur un « chemin de culture », mais que l’oscillation d’un pôle à l’autre habite la vie et parcourt l’oeuvre. De Peau noire, masques blancs (1), que Fanon espéraprésenter comme thèse de psychiatrie, jusqu’aux Damnés de la terre qui s’achèvent sur des données cliniques, l’importance accordée à l’analyse psychologique, à sa contribution à la compréhension du procèssocial et des relations de pouvoir qui le dynamisent, cette importance ne s’est jamais démentie. La réciproque est vraie : Fanon, qui maintiendra aussi longtemps que la guerre le lui permettra, sonactivité de psychiatre, ne se départit jamais d’un regard politique et critique sur l’institution psychiatrique. Depuis les expériences de psychiatrie institutionnelle avec Tosquelles à Saint-Albanjusqu’à l’ouverture de l’hôpital Charles-Nicolle de Tunis sur l’hospitalisation de jour, Fanon a mené un combat permanent à la fois contre le statut de sujétion du malade et contre la carcéralisation del’hôpital (2).
Si nous parlons d’une oscillation de l’analyse psychologique à la réflexion politique plutôt que d’alternative ou d’opposition, c’est que l’essentiel est moins dans la position…