Mise en scène du misanthrope
Etude du Misanthrope de Molière
Mise en scène de Laurence Hétier Théâtre du Nord-Ouest, à Paris
TD du jeudi de 19h à 20h30
Une frappante absence de décor, une absence de costumes… la neutralité de la scène théâtrale dans la mise en scène du Misanthrope de Molière de Laurence Hétier répond aux critères propres du théâtre du Nord-Ouest à Paris. En effet, ce théâtre d’artet d’essai fondé et dirigé par Jean-Luc Jeener depuis 1997, met à l’honneur cette caractéristique, d’une part par contrainte financière et d’autre part, et particulièrement pour cette raison, car le théâtre est pour lui « l’art de l’incarnation des personnages », il veut « ôter le superflu et travailler sur la déstructuration ».
Aussi, l’analyse que nous entreprenons ici portera de façonquasi-exclusive sur le jeu des comédiens, sur la comparaison des fantasmes Moliéresques et de ceux apportés par Laurence Hétier. Nous verrons ici que, sur les traces des fantasmes Moliéresques, le metteur en scène approfondit les traits des personnages et les portent à un degré qui dépasse celui que nous ressentons à la lecture du texte de Molière.
Ainsi, nous nous interrogerons sur ces divergences decaractère et tenterons d’en comprendre la vision personnelle de Laurence Hétier quant aux personnages.
Nous aborderons le jeu des principaux personnages et en jugerons la pertinence dans la volonté «d’incarnation» à laquelle s’attache Jean-Luc Jeener.
Tout d’abord, rappelons le caractère extrême d’Alceste, « elle [sa haine pour la nature humaine] est générale, et je hais tous les hommes ».Alceste exprime son humeur noire, sa bile, tout au long de la pièce. Il est révolté par l’hypocrisie des hommes, leur complaisance, leur « lâche flatterie », qu’il qualifie même de « commerce honteux de semblants d’amitié ». Il est un personnage aux propos démesurés («Et parfois il me prend des mouvements soudains / De fuir dans un désert l’approche des humains »), et est en proie à une colèrequi le ravage de ses tourments. Chez Laurence Hétier, Alceste est cet homme révolté mais son expressivité semble s’élever au-delà de la colère, au-delà même de l’indignation, il apparaît dans autre mesure, résigné, très souvent à la limite des larmes et va, tombé à terre accablé de chagrin jusqu’à éclater en sanglots dans les bras de Célimène à la scène III de l’acte IV. En effet, dès la scènepremière, dans laquelle il se querelle avec Philinte, il évoque ces procédés qu’il abhorre avec une sensibilité, une intonation à la limite du pathétique, dans le sens où le spectateur s’attend à recevoir ses larmes. Alceste laisse éclater sur scène sa peine face à sa vision de «la nature humaine», qui le déçoit profondément et qu’il juge très sévèrement, plus que sa colère bien que manifeste. Ilsemble dans la mise en scène de Laurence Hétier qu’Alceste, en parfait désaccord avec son amante, soit victime. Bien entendu, il est la victime des mœurs de son temps qu’il considère trop légères car profondément hypocrites, mais il est la victime de Célimène.
Notons que Laurence Hétier a une vision très féministe de la pièce et ainsi la pièce paraît plus centrée sur ce personnage que sur celuid’Alceste. Tout d’abord, elle est la seule dont l’habillement semble significatif. Célimène est « coquette » et aime user de ses appâts pour séduire les hommes. Elle est coquette au sens de la Furetière qui définit le terme par : « dame qui tâche de gagner l’amour des hommes […] les coquettes tâchent d’engager les hommes et ne veulent point s’engager ». Le caractère de Célimène prend tout son sens àla lecture de cette définition. Nous en avons de nombreux exemples au cours de la pièce ; à la scène II de l’acte V, dans laquelle Oronte et Alceste pressent Célimène à cesser le jeu auquel elle se donne et à choisir l’un d’eux ; ou encore à la dernière scène de la pièce où sont révélés de façon éclatante ses procédés de coquetterie. Célimène semble une femme libérée qui s’affirme et assume…