Tragedie – theatre sans animaux

décembre 5, 2018 Non Par admin

TRAGEDIE
Ils sont chics, Costumes de gala, Louise, tendue, marche vite. Jean-Claude, visage fermé, traîne derrière elle. Escaliers, couloirs, ils cherchent un nom sur une porte.

Louise : « Bravo », tu lui dis juste « bravo », c’est tout.

Jean-Claude : (Soupirs.)

Louise : Je ne te demande pas de te répandre en compliments, je te demande de lui dire juste un petit bravo….

Jean-Claude :(Soupirs.)… Je ne peux pas.

Louise : Tu ne peux pas dire « bravo » ?

Jean-Claude : Non.

Louise : Même un petit bravo ?

Jean-Claude : Non

Louise : C’est quoi ? C’est le mot qui te gêne ?

Jean-Claude : Non, c’est ce qu’il veut dire.

Louise : Oh ! ce qu’il veut dire, si tu le dis comme « bonjour », déjà il veut beaucoup moins dire ce qu’il veut dire.

Jean-Claude : Ca veutquand même un peu dire « félicitations », non ?

Louise : Oui mais pas plus. Vraiment pas plus.

Jean-Claude : J’ai haï cette soirée, tu es consciente de ça, Louise ?! J’ai tout détesté, les costumes, les décors, la pièce et Elle, surtout elle !

Louise : Justement, comme ça tu n’es pas obligé de lui dire que tu n’as pas aimé, tu lui dis juste « bravo », un petit bravo et c’est fini, on n’enparle plus, tu es débarrassé et moi j’enchaîne… Tiens, sa loge est là !

Jean-Claude : Je n’y arriverai pas.

Louise : Jean-Claude, tu as vu où elle nous a placés, au sixième rang d’orchestre, au milieu de tous les gens connus, elle n’était pas obligée, on n’est pas célèbres, on est même le contraire, elle a fait ça pour nous faire plaisir.

Jean-Claude : Je n’ai éprouvé aucun plaisir.Louise : C’est bien pour ça que je ne te demande pas de lui dire « merci », là d’accord, « merci » ça pourrait avoir un petit côté hypocrite surtout si tu t’es beaucoup ennuyé, mais « bravo », franchement ! « Bravo » c’est rien.
Jean-Claude : Je te dis que je n’y arriverai pas !

Louise : Alors, dis-le deux fois.

Jean-Claude : Deux fois ?!

Louise : Oui « bravo, bravo » Deux fois ça glissetout seul, on ne se rend presque pas compte qu’on l’a dit, ça file, on n’a même pas le temps de penser à ce que ça veut dire. C’est un peu comme « oh pardon ! » Quand tu dis « oh pardon ! » tu n’as pas l’impression de demander vraiment un pardon, de réclamer une absolution pour ta faute, non c’est une petite phrase qui t’échappe, et pourtant le type sur qui tu viens de renverser ta bière et qui aenvie de t’égorger, en t’entendant dire « oh pardon ! » s’apaise aussitôt, comprenant que ce n’est pas un goujat qui lui a taché sa veste, mais un homme bien élevé, et il le devient à son tour en te répondant « je vous en prie ». Phrase dont lui non plus ne saisit pas le sens, sinon, l’idée de se courber mains jointes devant toi en priant lui ôterait toute envie de la prononcer. Et pourtant, il l’adite ! Et vous vous séparez, sans insultes ni guerre, presque amis, prouvant que dix mille ans de civilisation n’ont pas été vains, puisqu’ils ont réussi à remplacer chez l’homme le réflexe de l’égorgement par celui de la courtoisie, et c’est pour ça, Jean-Claude, que j’aimerais que tu dises un petit bravo à Simone, juste pour qu’elle ne pense pas que mon mari a échappé à la civilisation… Est-ceque tu comprends ?

Jean-Claude : Qu’est-ce qui te prend à parler comme ça, sans t’arrêter ? On vient d’entendre ta sœur pendant presque trois heure et demie, parler, parler, parler, j’ai cru mourir, et toi maintenant tu t’y mets !? C’est une histoire de fou ? C’est contagieux ou quoi ? Si tu dois continuer, dis-le moi tout de suite, parce que je te préviens, je fous le camp de ce théâtre et je nereviens pas, tu m’entends, Louise, je ne reviens plus jamais…

Louise : Tout ça parce que je te demande d’être poli avec ta belle-sœur !

Jean-Claude : Parce qu’elle l’a été elle, sur scène ?! parce que c’est de l’art, c’est poli ?… Parce que c’est classique, c’est poli ? parce que ça rime, c’est poli ? C’est ça ?

Louise : Tu n’es quand même pas en train de m’expliquer que Racine est…