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décembre 2, 2018 Non Par admin

Texte A : extrait d’Honoré de BALZAC, Le Chef d’oeuvre inconnu (1832)
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Un vieillard vint à monter l’escalier. A labizarrerie de son costume, à la magnificence de son rabat de
dentelle, à la prépondérante sécurité de la démarche, le jeune homme devina dans ce personnage ou le
protecteur ou l’ami du peintre ; il serecula sur le palier pour lui faire place, et l’examina curieusement,
espérant trouver en lui la bonne nature d’un artiste ou le caractère serviable des gens qui aiment les arts
; mais il aperçutquelque chose de diabolique dans cette figure, et surtout ce je ne sais quoi qui
affriande les artistes. Imaginez un front chauve, bombé, proéminent, retombant en saillie sur un petit
nez écrasé,retroussé du bout comme celui de Rabelais ou de Socrate ; une bouche rieuse et ridée, un
menton court, fièrement relevé, garni d’une barbe grise taillée en pointe, des yeux vert de mer ternis en
apparencepar l’âge, mais qui par le contraste du blanc nacré dans lequel flottait la prunelle devaient
parfois jeter des regards magnétiques au fort de la colère ou de l’enthousiasme. Le visage étaitd’ailleurs singulièrement flétri par les fatigues de l’âge, et plus encore par ces pensées qui creusent
également l’âme et le corps. Les yeux n’avaient plus de cils, et à peine voyait-on quelques traces desourcils au-dessus de leurs arcades saillantes. Mettez cette tête sur un corps fluet et débile, entourez-la
d’une dentelle étincelante de blancheur, et travaillée comme une truelle à poisson, jetezsur le
pourpoint noir du vieillard une lourde chaîne d’or, et vous aurez une image imparfaite de ce
personnage auquel le jour faible de l’escalier prêtait encore une couleur fantastique. Vouseussiez dit
d’une toile de Rembrandt marchant silencieusement et sans cadre dans la noire atmosphère que s’est
appropriée ce grand peintre.
L’art du portrait garantit aux personnages de roman une…