Waterloo

novembre 29, 2018 Non Par admin

Mais Hugo insiste particulièrement sur l’héroïsme des hommes, pour servir la légende napoléonienne.

L’élévation passe d’abord par les procédés habituels à l’épopée, un peu oubliée depuis les essais malheureux de Ronsard avec la Franciade, et que renouvelle Hugo. Le choix des alexandrins à rimes plates est propre à ce genre littéraire, car le vers long permet la gravité du ton. L’hyperboleabonde, avec l’image insistante du « gouffre » pour la plaine (v. 4, 5), les panaches « énormes  » (v. 6), rimant avec les « blessures difformes  » (v. 7), notation certes réaliste mais dont l’évocation dans ce contexte appartient également à l’exagération épique qui accentue aussi bien l’horreur que l’héroïsme, par le sourire (v. 22) des condamnés qui pousse jusqu’à l’exagération.

Les comparaisons etles métaphores concourent à donner de l’ampleur au combat : le choc de l’artillerie sur les troupes ressemble à un cataclysme naturel qui abat des murs entiers (v. 4) ou les moissons (v. 5). Le rejet du verbe « tombaient « , le choix pour illustrer cette chute des tambours-majors, qui sont les plus grands des soldats par leur taille rehaussée du panache, soulignent la brutalité du mouvement. Les mursexpriment la solidité des troupes qui cèdent, les épis mûrs évoquent leur valeur, puisque la moisson est traditionnellement promesse d’opulence.

Avec cette dernière image Hugo retrouve le thème de la mort, souvent représentée depuis le Moyen Age comme une grande faucheuse. L’assimilation de l’armée française à la grandeur de l’armée romaine qui domina l’Europe entière est renforcée au vers 14par la diérèse « lé/gi/on/naires ». Ces incursions dans l’imaginaire de notre civilisation se prolongent avec l’assimilation de la plaine à un « gouffre flamboyant « , une « forge  » (v. 3), une « fournaise  » (v. 23) qui ne sont pas sans rapport avec la conception chrétienne de l’Enfer. La peinture, qui insiste sur le feu et la couleur « rouge  » du cadre, renforce ces impressions visuelles dans le vers 3par les allitérations en [f], [r] et l’assonance en [u] :  » Qu’un gouffre flamboyant, rouge comme une forge. « 

Le personnage de Napoléon n’échappe pas à ce souffle épique. Caractérisé par sa maîtrise légendaire de la stratégie, il sent (v. 9) que la victoire s’échappe, et réagit immédiatement par la mesure qui s’impose. Son sang-froid éclate dans le choix du terme « inquiet  » (v. 8), là où unautre s’affolerait. L’image de la bataille qui « pliait  » entre ses mains (v. 9) montre qu’il domine d’ordinaire les plus grands conflits. Le terme de « dieu » (v. 19) indique d’ailleurs la vénération des soldats pour leur chef.

L’armée, particulièrement la Garde, se montre à la hauteur. Après la longue énumération de ses membres variés qui s’étend sur quatre vers (v. 13-16), Hugo insiste surl’unanimité de leur acquiescement à une mort héroïque qu’ils ont eu l’intelligence de prévoir :  » tous  » est mis en début de vers (v. 17), « un seul cri : vive l’empereur  » renouvelle l’attachement inconditionnel au chef (v. 20). C’est avec une discipline parfaite qu’ils exécutent les gestes et les paroles usuels, le salut, l’exclamation et la marche lente vers la mort.

Hugo suggère même leurenthousiasme par le mot « fête » (v. 18), la musique qui conduit l’ébranlement (v. 21), le sourire à l’ennemi (v. 22), et surtout le rythme régulier des trois derniers vers, pas cadencé par des coupes brèves, qui s’élargit enfin pour l’entrée décidée dans la mêlée :
Ces trois derniers vers sont très ciselés : l’armée sait qu’elle va mourir, et pourtant elle se dirige vers l’enfer : « la fournaise », enrespectant les usages militaires : « pas lents », « musique en tête », « sans fureur », c’est-à-dire d’une manière professionnelle. La mise en apposition de l’adjectif « tranquille » indique l’état d’esprit. La diérèse « sou/ri/ant » souligne l’héroïsme. Il en est de même pour la diérèse « im/pé/ri/ale » qui vient en écho aux « légionnaires » romains. Il est évident que ces trois vers illustrent la phrase célèbre…