Voltaire de l’horrible dangé la lecture

novembre 26, 2018 Non Par admin

Introduction

Voltaire excelle dans le pamphlet, genre qui lui permet de se livrer à une critique virulente et de montrer ses qualités polémiques. On y retrouve des thèmes récurrents dans ses essais et ses contes philosophiques: la dénonciation de l’intolérance, des préjugés, de la superstition, de la censure, de l’arbitraire de certaines décisions autoritaires, etc. Cepamphlet est une synthèse des idées des Lumières.

L’auteur fait ici la parodie des textes explicitant les décisions d’interdiction; il se place dans le contexte oriental pour composer un édit d’interdiction de l’imprimerie et de la lecture (à ce moment-là l’imprimerie venait d’être introduite en Turquie). C’est un texte construit sur des procédés d’antiphrase systématiques, et sous le couvertdes accusations à l’égard de l’imprimerie il faut en voir un éloge. Voltaire critique également les pouvoirs arbitraires qui maintiennent les peuples dans l’ignorance: c’est un plaidoyer pour la diffusion des œuvres et des idées.

Lecture du texte

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Lu par René Depasse – source :litteratureaudio.com

De l’horrible danger de la lecture
Nous Joussouf-Chéribi, par la grâce de Dieu mouphti du Saint-Empire ottoman, lumière des lumières, élu entre les élus, à tous les fidèles qui ces présentes verront, sottise et bénédiction.

Comme ainsi soit que Saïd-Effendi, ci-devant ambassadeur de la Sublime-Porte vers un petit État nommé Frankrom, situé entre l’Espagne et l’Italie, a rapportéparmi nous le pernicieux usage de l’imprimerie, ayant consulté sur cette nouveauté nos vénérables frères les cadis et imans de la ville impériale de Stamboul, et surtout les fakirs connus par leur zèle contre l’esprit, il a semblé bon à Mahomet et à nous de condamner, proscrire, anathématiser ladite infernale invention de l’imprimerie, pour les causes ci-dessous énoncées.

1° Cette facilité decommuniquer ses pensées tend évidemment à dissiper l’ignorance, qui est la gardienne et la sauvegarde des États bien policés.

2° Il est à craindre que, parmi les livres apportés d’Occident, il ne s’en trouve quelques-uns sur l’agriculture et sur les moyens de perfectionner les arts mécaniques, lesquels ouvrages pourraient à la longue, ce qu’à Dieu ne plaise, réveiller le génie de nos cultivateurset de nos manufacturiers, exciter leur industrie, augmenter leurs richesses, et leur inspirer un jour quelque élévation d’âme, quelque amour du bien public, sentiments absolument opposés à la saine doctrine.

3° Il arriverait à la fin que nous aurions des livres d’histoire dégagés du merveilleux qui entretient la nation dans une heureuse stupidité. On aurait dans ces livres l’imprudence derendre justice aux bonnes et aux mauvaises actions, et de recommander l’équité et l’amour de la patrie, ce qui est visiblement contraire aux droits de notre place.

4° Il se pourrait, dans la suite des temps, que de misérables philosophes, sous le prétexte spécieux, mais punissable, d’éclairer les hommes et de les rendre meilleurs, viendraient nous enseigner des vertus dangereuses dont le peuple nedoit jamais avoir de connaissance.

5° Ils pourraient, en augmentant le respect qu’ils ont pour Dieu, et en imprimant scandaleusement qu’il remplit tout de sa présence, diminuer le nombre des pèlerins de la Mecque, au grand détriment du salut des âmes.

6° Il arriverait sans doute qu’à force de lire les auteurs occidentaux qui ont traité des maladies contagieuses, et de la manière de lesprévenir, nous serions assez malheureux pour nous garantir de la peste, ce qui serait un attentat énorme contre les ordres de la Providence.

A ces causes et autres, pour l’édification des fidèles et pour le bien de leurs âmes, nous leur défendons de jamais lire aucun livre, sous peine de damnation éternelle. Et, de peur que la tentation diabolique ne leur prenne de s’instruire, nous défendons aux…