Un monde divisé
Georg Simmel : Philosophie de l’argent Cours d’introduction
Georg Simmel est, avec Max Weber, une des figures les plus importantes de la sociologie allemande classique, ces deux auteurs ayant, sur bien des points essentiels, une conception semblable de la sociologie. Simmel est surtout connu comme le promoteur de la sociologie « formelle », une notion souvent mal comprise bien qu’elle soit à la fois claire, fondamentale et très généralement acceptée dans les sciences sociales contemporaines. Il l’est aussi pour avoir été un des fondateurs de la psychologie sociale. Mais Simmel est d’abord et c’est une priorité qu’il partage avec Weber un des pionniers de la sociologie de l’action, dont il a parfaitement dessiné les fondements et les contours dans ses travaux épistémologiques. C’est cette orientation qu’il a donnée à ses études « macrosociologiques », ainsi qu’à celles plus connues parce que plus accessibles consacrées à la « sociologie de la vie quotidienne ». Né en à Berlin en 1858 et mort à Strasbourg en 1918, philosophe et sociologue, Simmel a enseigné jusqu’en 1914 à l’université de Berlin, avant d’obtenir, fort tardivement une chair de professeur à l’université de Strasbourg. C’est un penseur et un enseignant méconnu qui avait pourtant un auditoire énorme et dont la pensée a exercé une influence considérable. Avec quelques fluctuations, sa pensée a été un peu éclipsée par des systèmes de pensée dominant la vie intellectuelle et universitaire, et ce n’est que depuis une quinzaine d’années que ses écrits sont relus en Allemagne. Très célèbre de son vivant et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, Simmel a subi, en France surtout, une éclipse d’uneingtaine d’années, éclipse qui, comme celle de Weber d’ailleurs, trouve sa principale explication dans le fait que son œuvre ressortit à ce qu’on appelle souvent la sociologie de l’action. Or les principes de celleci sont peu compatibles avec les mouvements d’idées qui, comme le structuralisme et le néomarxisme, ont exercé une influence importante entre 1960 et la fin des années soixantedix. Une autre raison de la difficulté d’accès que l’œuvre de Simmel paraît opposer au lecteur contemporain réside dans son caractère interdisciplinaire. Certains de ses livres comme les Problèmes de philosophie de l’histoire et une partie de Questions fondamentales de la sociologie concernent la philosophie des sciences sociales. D’autres, comme la Philosophie de l’argent, traitent de sujets macrosociologiques, en ignorant d’ailleurs les frontières entre sociologie et économie. Plusieurs de ses ouvrages enfin, ceux qui sont les plus connus, relèvent plutôt de ce qu’on appellerait aujourd’hui la psychologie sociale. C’est essentiellement sur ces essais microsociologiques que l’influence de Simmel s’est appuyée aux ÉtatsUnis, alors que son succès dans la France de l’entredeuxguerres était surtout dû à ses travaux épistémologiques qui ont pour objet le problème de l’explication en histoire. La redécouverte de Simmel en France doit beaucoup au philosophe Julien Freund (1921 1993). Si on trouve en France depuis une dizaine d’années Sociologie et Epistémologie, la Philosophie de l’argent, La Tragédie de la culture et d’autres de ses écrits, si donc on s’est attaché à traduire un auteur dont le style n’a rien de linéaire et simple, c’est peut être parce que la manière de Simmel de déchiffrer l’éclatement du monde moderne et la place que l’individu peut y avoir semble rejoindre nos recherches d’autres formes de réflexion pour lire notre monde actuel. Métropole naissante, mentalité moderne, complexité grandissante des phénomènes, crises et transitions dans les entrelacs du tissu social : ce sont là quelques thèmes de Simmel, et pour lui même c’est Berlin en passe de devenir …