Sciences juridiques

novembre 25, 2018 Non Par admin

UN DROIT FONDAMENTAL VIEUX DE 3 000 ANS : L’ETAT DE NECESSITE JALONS POUR UNE HISTOIRE DE LA NOTION Philippe-Jean HESSE Professeur émérite à l’Université de Nantes

L’idée de nécessité est une idée largement répandue, mais dont l’histoire reste à faire. Nous l’aborderons ici sous l’angle juridique de l’état de nécessité, ce qui laisse de côté nombre d’acceptions du terme et de débats : ainsiparle-t-on de « monnaie de nécessité » à propos des pièces et billets qui circulent sans cours légal dans divers pays à toutes époques1 ; ainsi Spinoza, discutant dans sa correspondance la notion de libre arbitre, s’interroge pour savoir dans quelle mesure l’homme est responsable d’actes nécessaires que Dieu lui impose. De nos jours, le terme de nécessité semble devoir être mis un peu à toutes lessauces. Ainsi Raymond Martin ne craint-il pas d’écrire – fautivement à nos yeux – : L’euthanasie est une forme de suicide par nécessité2. Le droit est mis en place pour répondre aux problèmes qui se posent dans une société3 ; la responsabilité cherche à obliger l’individu à respecter ce droit en lui faisant réparer toute faute qui a causé des dommages à une victime – responsabilité civile – etéventuellement en sanctionnant les cas les plus graves qui nuisent à l’équilibre de la société – responsabilité pénale. N’existe-t-il pas alors des dérogations à la responsabilité pénale dans certaines situations exceptionnelles ? Lorsqu’en particulier l’individu se trouve placé entre deux maux extrêmes, entre deux crimes, peut-on réellement lui reprocher ses actes ? Dans la pratique, il s’agittraditionnellement surtout du problème du « vol » pour éviter de mourir de faim ou de commettre un attentat à la pudeur en exhibant une nudité que l’on n’a pas les moyens financiers de cacher. La plupart des cas concernent aussi les plus miséreux, d’où le titre d’une des principales études sur la question Les pauvres ont-ils des droits ?4 Les conceptions dans ce domaine dépendent largement de la façon deconsidérer la pauvreté : forme de sainteté, malchance, punition divine, vice, …

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Norbert OLSZAK (Histoire des banques centrales, Paris, PUF, 1998 p. 68, coll. « Que sais-je ? ») nous rappelle que de telles monnaies ont été utilisées en Italie de 1866 à 1881 et dans les années 1970. 2 « Personne, corps et volonté », Dalloz, 2000, n°33, cité par Mathieu GAILLARD, Le statut protecteur du corpshumain en France, Mémoire DIU « Droits Fondamentaux », 2002, p. 13. 3 DURKHEIM Emile (De la division du travail social, Paris, Alcan, 1911, p. 37) fournit cette indication intéressante : « on a dit que les règles pénales énonçaient pour chaque type social les conditions fondamentales de la vie collective. Leur autorité viendrait de leur nécessité ; d’autre part, comme ces nécessités varient avec lessociétés, on s’expliquerait ainsi la variabilité du droit répressif ». 4 COUVREUR Gilles, Les pauvres ont-ils des Droits ? Recherches sur le vol en cas d’extrême nécessité depuis la « Concordia » de Gratien (1140) jusqu’à Guillaume d’Auxerre (1231), Ed. S. O. S., 1961 (édition d’une thèse de doctorat en théologie catholique soutenue à Rome).

Droits fondamentaux, n° 2, janvier – décembre 2002www.droits-fondamentaux.org

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Philippe-Jean HESSE

D’autres aspects de la notion de nécessité se rencontrent dans le domaine juridique, mais que nous laisserons de côté dans cet article, car ils touchent moins le secteur des droits fondamentaux. L’ensemble de la théorie jurisprudentielle et doctrinale des circonstances exceptionnelles emprunte à l’idée de nécessité, qu’il s’agisse en périodede famine de ne pas laisser les prix se fixer librement sur le marché5 ou en période de guerre de ne pas respecter certaines règles de procédure6. Signalons enfin que la Déclaration des droits de l’homme en Islam, adoptée à Riyad en 1998, introduit une nouvelle dimension de l’idée de nécessité en cas de guerre : « la flore, la faune, les bâtiments et les installations civiles ne doivent pas être…