Préface l’ assommoire

décembre 10, 2018 Non Par admin

Les Rougon-Macquart doivent se composer d’une vingtaine de romans.Depuis 1869, le plan général est arrêté, et je le suis avec une rigueur extrême. L’Assommoir est venu à son heure, je l’ai écrit,comme j’écrirai les autres, sans me déranger une seconde de ma ligne droite. C’est ce qui fait ma force. J’ai un but auquel je vais.Lorsque l’Assommoir a paru dans un journal, il a été attaqué avec unebrutalité sans exemple, dénoncé, chargé de tous les crimes. Est-il bien nécessaire d’expliquer ici, en quelques lignes, mes intentions d’écrivain ? J’ai voulu peindre la déchéance fatale d’une familleouvrière, dans le milieu empesté de nos faubourgs. Au bout de l’ivrognerie et de la fainéantise, il y a le relâchement des liens de la famille, les ordures de la promiscuité, l’oubli progressif dessentiments honnêtes, puis comme dénoûment, la honte et la mort. C’est de la morale en action, simplement.L’Assommoir est à coup sûr le plus chaste de mes livres. Souvent j’ai dû toucher à des plaiesautrement épouvantables. La forme seule a effaré. On s’est fâché contre les mots. Mon crime est d’avoir eu la curiosité littéraire de ramasser et de couler dans un moule très travaillé la langue dupeuple. Ah ! la forme, là est le grand crime !Des dictionnaires de cette langue existent pourtant, des lettrés l’étudient et jouissent de sa verdeur, de l’imprévu et de la force de ses images. Elle est unrégal pour les grammairiens fureteurs.
N’importe, personne n’a entrevu que ma volonté était de faire un travail purement philologique, que je crois d’un vif intérêt historique et social.Je ne medéfends pas, d’ailleurs. Mon oeuvre me défendra. C’est une oeuvre de vérité, le premier roman sur le peuple, qui ne mente pas et qui ait l’odeur du peuple. Et il ne faut point conclure que le peuple toutentier est mauvais, car mes personnages ne sont pas mauvais, ils ne sont qu’ignorants et gâtés par le milieu de rude besogne et de misère où ils vivent. Seulement, il faudrait lire mes romans, les…