Poème ophélie de rimbaud

novembre 25, 2018 Non Par admin

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Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…
— On entend dansles bois lointains des hallalis.
Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir;
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmuresa romance à la brise du soir.
Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,Sur son grand front rêveur s’inclinent les roseaux.
Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d’où s’échappe unpetit frisson d’aile:
— Un chant mystérieux tombe des astres d’or.
ô pale Ophélia! belle comme la neige!
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté!
— C’est que les ventstombant des grands monts de Norvège
T’avaient parlé tout bas de l’âpre liberté;
C’est qu’un souffle, tordant ta grande chevelure,
A ton esprit rêveur portait d’étrangesbruits;
Que ton coeur écoutait le chant de la nature
Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs des nuits;
C’est que la voix des mers folles, immense râle,
Brisait ton seind’enfant, trop humain et trop doux;
C’est qu’un matin d’avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s’assit muet à tes genoux!
Ciel! Amour! Liberté! Quel rêve, ô pauvre folle!
Tu tefondais à lui comme une neige au feu:
Tes grandes visions étranglaient ta parole
— Et l’infini terrible effara ton oeil bleu !
— Et le poète dit qu’aux rayons des étoilesTu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis,
Et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.
Arthur Rimbaud