Peut-on dire « à chacun sa vérité ? »

décembre 30, 2018 Non Par admin

Peut-on dire “à chacun sa vérité” ?

Première partie : Légitimité de la formulation “à chacun sa vérité”.

Elucidons tout d’abord ce qui peut donner sens à une telle formule, voire la justifier.

Tout d’abord, chacun fait l’épreuve, l’expérience du caractère irréductible de sa singularité. Le corps est le premier principe d’individuation : ce qui émane en effet de la sensation relève alorsdu domaine du subjectif et du singulier, car la sensation éprouvée est vécue par moi et selon un mode qui m’est propre.
Ainsi, des goûts et des couleurs ont ne peut en discuter : je ne peux prétendre que les autres sentent comme moi. Réf Kant, CFJ : distinction entre l’agréable et le beau. Chacun reste juge de son propre plaisir ou déplaisir, de ce qui est agréable ou désagréable aux sens.
Onpeut alors parler de vérités subjectives : chaque vécu subjectif est comme tel indubitable, et une sensation, même illusoire, est une sensation réellement ressentie.

Et de même que chacun a de son corps un sentiment singulier, de même chacun tient pour vraies des idées religieuses par exemple, parce que grâce à elles, il a le sentiment ‘être en présence de “sa vérité, une vérité qui réponde à sesaspirations, comble ses attentes” (Mounier). Il considère ces vérités subjectives en ce sens comme plus vraies que les vérités objectives et impersonnelles de la science, même si elle ne peuvent être argumentées comme celles-ci par raisons démonstratives.

En outre, chacun de nous s’inscrit inévitablement au sein d’une culture particulière. A cet égard, comme l’analyse Levi-Strauss, les hommesont tendance à ériger un simple point de vue culturel particulier en un pseudo-critère universel. C’est l’attitude ethnocentrisme. Attitude condamnable sur un plan théorique : c’est en effet ne pas comprendre qu’en matière de mœurs, de coutumes, d’art, de religion, il n’existe pas de critère universel de jugement, car toutes ces manifestations s’enracinent précisément en des culturesparticulières. Attitude condamnable sur un plan pratique : rappel encore ici qu’elle conduit à l’exclusion, voire même à l’extermination de ceux jugés “barbare”, ou “non civilisés”, etc.. Le “à chacun sa vérité” signifie alors une reconnaissance des différences, qui est l’antidote à l’éthnocentrisme et au fanatisme qu’il peut entraîner. Le fanatique croit à la vérité qu’il érige en valeur absolue. A ce titre,il est raisonnable de s’en remettre à l’attitude relativiste (rappel), ou à la prudente humilité du sceptique, qui, ne prétendant pas connaître la vérité, ne prétend pas par là imposer aux autres ce qu’il ne sait être que sa vérité.

Enfin, le progrès des sciences nous montre qu’il serait imprudent de considérer leurs vérités comme absolues et définitives : elles sont en effet relatives auxconcepts et moyens techniques dont dispose le scientifique, à chaque stade de la recherche. Ainsi, toute vérité scientifique est datées, et aucune ne prétend épuiser la réalité de la matière. En ce qui concerne la philosophie, si elle se donnait pour La philosophie, et la Vérité, son dogmatisme serait une caricature risible du philosopher. Philosopher consiste justement à confronter son jugementcritique à la diversité des doctrines philosophiques.

Ainsi, la formulation “ à chacun sa vérité” parait recevable à plus d’un titre, comme :
* Respect de l’irréductibilité des sensibilités singulières.
* Tolérance différentia liste.
* Antidote à un dogmatisme impuissant à penser le rapport entre vérité et historicité.

Mais doit-on pour autant considérer une telle formulation comme légitime ensa position radicale ? Il est légitime en effet de penser chacun puisse revendiquer sa propre vérité ?

Deuxième partie : Critiques d’une telle formulation
Paradoxes du relativisme. Réf Platon, Théétète commentant la formule de Protagoras “l’homme est la mesure de toutes choses” : “telles les choses m’apparaissent à moi, telles elles sont pour moi, telles elles t’apparaissent à toi, telle…