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janvier 9, 2019 Non Par admin

Professeur Guy Michaud

Le thème du miroir dans le symbolisme français
In: Cahiers de l’Association internationale des études francaises, 1959, N°11. pp. 199-216.

Citer ce document / Cite this document : Michaud Guy. Le thème du miroir dans le symbolisme français. In: Cahiers de l’Association internationale des études francaises, 1959, N°11. pp. 199-216. doi : 10.3406/caief.1959.2147http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1959_num_11_1_2147

LE DANS

THÈME

DU

MIROIR FRANÇAIS

LE

SYMBOLISME

Communication de M. Guy MICHAUD (Université de la Sarre) au Xe Congrès de l’Association, le 22 juillet

1958

Qu’est-ce que le miroir ? Avant d’être une image de poète, le miroir est lui-même un producteur d’images. Source de réflexion,surface rigide sans laquelle les choses seraient absorbées dans l’oubli, il nous invite à réfléchir. Comme l’écrit Gaston Bachelard, « les mi roirs sont des objets trop civilisés, trop maniables, trop géométriques, ils sont avec trop d’évidence des outils de rêve pour s’adapter d’eux-mêmes à la vie oni rique » (1). Nous ne nous étonnerons donc pas de cons tater que, généralement négligé par les poèteschez qui le lyrisme est l’expression directe et plus ou moins spon tanée des sentiments affectifs, tels que nos romantiques, le miroir retienne au contraire l’attention de ceux dont la démarche, plus intellectuelle, a pour principal objet d’interroger le mystère de l’acte poétique et pour qui le mot, en même temps qu’il retrouve sa valeur d’image, tend à devenir précisément un « outil de rêve » et,par là même, un moyen de connaissance d’un genre appa remment nouveau. Baudelaire est sans doute, dans notre poésie, le pre mier de ces magiciens du verbe qui ait entrepris délib érément de réfléchir sur le langage poétique et de se réfléchir dans le langage comme dans le monde qui (1) G. Bachelard, L’Eau, et les Rêves, p. 32.

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l’entoure. Quoi d’étonnant, dès lors, que lemiroir soit un des mots de passe des Fleurs du Mat, un de ces mots que le poète se plaît à placer à la rime ou à l’hémistiche en lui restituant une vertu incantatoire ? Faut-il rap peler les deux derniers vers de La Musique : …D’autres fois, calme plat, grand miroir De mon désespoir ! Auxquels répond le début de L’Homme et la Mer : Homme libre, toujours tu chériras la mer ! La mer est tonmiroir ; tu contemples ton âme Dans le déroulement infini de sa lame, Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer. Tu te plais à plonger au sein de ton image ; Tu l’embrasses des yeux et des bras… Ainsi, chez Baudelaire, non seulement le miroir a pour fonction de représenter à l’homme son image, mais il redevient lui-même image en s’identifiant métaphorique ment, la mer, ailleurs avec le ciel,voire avec ici avec les yeux de la bien-aimée, avec le cœur ou l’âme du poète. Nous assistons là au début d’un processus de réintégration qui, à travers Rollinat et les décadents d’une part, à travers Mallarmé d’autre part, va faire du miroir, quelque trente ans plus tard, un des thèmesclefs du symbolisme. J’avais déjà eu l’occasion de noter ici même, il y a cinq ans, l’importance de ce phénomèned’histoire littéraire qui, chez certains poètes mineurs, a pu prendre parfois l’allure d’une véritable obsession. Il peut paraître intéressant de l’analyser plus en détail pour en chercher la signification.

1. Le miroir et les thèmes poétiques II y a d’abord les prestiges du mot. Mirer, miroir, mirage… Les poètes symbolistes aimeront jouer avec cette riche famille de vocables, aux résonancesinfinies, et s’abandonneront volontiers à leur miroitement :

GUY MICHAUD Que mon talon l’écrase… Et brise le miroir où tu t’étais mirée, écrit Henri de Régnier (2). Et Rodenbach :

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— Le miroir qui concentre un sans mémoire eau noire — Puis le malade mire au miroir moment son Ses mains… (3). Ils enrichissent même la famille en créant de nou veaux mots. Plowert, dans son Petit…