Lorenzaccio acte iii, sc 3

décembre 24, 2018 Non Par admin

Acte III, Scène 3
LORENZO — Ma jeunesse a été pure comme l’or. Pendant vingt ans de silence, la foudre s’est amoncelée dans ma poitrine, et il faut que je sois réellement une étincelle du tonnerre,car tout à coup, une certaine nuit que j’étais assis dans les ruines du Colisée antique, je ne sais pourquoi je me levai, je tendis vers le ciel mes bras trempés de rosée, et je jurai qu’un destyrans de la patrie mourrait de ma main. j’étais un étudiant paisible, je ne m’occupais alors que des arts et des sciences, et il m’est impossible de dire comment cet étrange serment s’est fait en moi.Peut-être est-ce là ce qu’on éprouve quand on devient amoureux.
PHILIPPE — J’ai toujours eu confiance en toi, et cependant je crois rêver.
LORENZO — Et moi aussi, j’étais heureux alors ; j’avais lecœur et les mains tranquilles ; mon nom m’appelait au trône, et je n’avais qu’à laisser le soleil se lever et se coucher pour voir fleurir autour de moi toutes les espérances humaines. Les hommes nem’avaient fait ni bien ni mal ; mais j’étais bon, et, pour mon malheur éternel, j’ai voulu être grand. Il faut que je l’avoue ; si la Providence m’a poussé à la résolution de tuer un tyran, quel qu’il fût,l’orgueil m’y a poussé aussi. Que te dirais-je de plus? Tous les Césars du monde me faisaient penser à Brutus.
PHILIPPE — L’orgueil de la vertu est un noble orgueil. Pourquoi t’en défendrais-tu ?LORENZO — Tu ne sauras jamais, à moins d’être fou, de quelle nature est la pensée qui m’a travaillé. Pour comprendre l’exaltation fiévreuse qui a enfanté en moi le Lorenzo qui te parle, il faudrait que moncerveau et mes entrailles fussent à nu sous un scalpel. Une statue qui descendrait de son piédestal pour marcher parmi les hommes sur la place publique serait peut-être semblable à ce que j’ai été lejour où j’ai commencé à vivre avec cette idée : il faut que je sois un Brutus.
PHILIPPE — Tu m’étonnes de plus en plus.
LORENZO — J’ai voulu d’abord tuer Clément VII ; je n’ai pas pu le…