Littérature

novembre 29, 2018 Non Par admin

Comment Candide se sauva d’entre les Bulgares, et ce qu’il devint

Pour avoir aimé Cunégonde, la fille du baron, Candide est « chassé du paradis terrestre » « à grands coups de pied dans lederrière ». Puis il est enrôlé de force dans l’armée des Bulgares. Le roi des Bulgares livre alors bataille au roi des Abares.
Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deuxarmées. Les trompettes, les fifres, les haut-bois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu’il n’y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d’abord à peu près six mille hommes dechaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelquesmilliers d’hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu’il put pendant cette boucherie héroïque.
Enfin, tandisque les deux rois faisaient chanter des Te Deum1, chacun dans son camp, il prit le parti d’aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, etgagna d’abord un village voisin ; il était en cendres : c’était un village abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourirleurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes; là des filles, éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros, rendaient les derniers soupirs,d’autres, à demi brûlées, criaient qu’on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés.
Candide s’enfuit au plus vite dans un autrevillage : il appartenait à des Bulgares, et les héros abares l’avaient traité de même. Candide, toujours marchant sur des membres palpitants, ou à travers des ruines, arriva enfin hors du théâtre…