L’évolution de la justice pénale des mineurs
L’EVOLUTION DE LA JUSTICE PENALE DES MINEURS
Dominique Youf
La justice pénale des mineurs a profondément évolué ces dernières années. L’ordonnance du 2 février 1945 en constitue le texte fondateur. Certes, des lois importantes furent adoptées dans la première moitié du XXème siècle. On connaît la loi de 1906 fixant la majorité pénale à 18 ans et la loi de 1912 créant les Tribunaux pourenfants. Mais ces textes, si importants fussent-ils, se situaient dans la continuité du droit pénal classique. Or, c’est avec ce droit que l’ordonnance de 1945 a voulu rompre. Le législateur avait pour ambition de créer un nouveau droit pénal, et s’appuyait pour cela sur une nouvelle philosophie. Cette doctrine fut exposée dans l’exposé des motifs de l’ordonnance de 1945, dont l’influence fut plusimportante que le texte même qui fut modifié à de multiples reprises. C’est sur base du préambule que s’est construit un champ de la protection judiciaire de l’enfance et de l’adolescence, où les nouvelles professions de juges des enfants et d’éducateurs ont trouvé la source de leur légitimité et de leur action. Aujourd’hui encore, lorsque certains jugent laxiste la justice des mineurs, ce n’estpas le texte de l’ordonnance qui est visé, plutôt que sa philosophie originelle contenue dans l’exposé des motifs.
Pourtant, ce préambule n’a plus, depuis l’adoption de la loi du 9 septembre 2002, valeur juridique. Ce texte en a modifié fondamentalement la philosophie originelle appuyée en cela par la décision du Conseil constitutionnel en date du 29 août 2002. L’objectif que souhaite atteindre cetarticle est de comprendre les principes sur lesquels le législateur de l’après guerre souhaitait fonder la justice des mineurs (1). Il s’agit de parvenir à cette philosophie originelle et non à celle que l’on a reconstruite a posteriori. Reconstruction fantasmatique qui a permis à chacun de s’approprier son ordonnance de 1945, et à celle-ci de persister dans la durée. C’est lorsqu’on sera parvenuà reconstruire la philosophie originelle de l’ordonnance de 1945, qu’on pourra prendre la mesure de la décision du Conseil constitutionnel du 29 août 2002. Décision qui montre à la fois la continuité de la loi du 9 septembre 2002 avec l’exposé des motifs de 1945, mais aussi ses ruptures (2).
1. LA PHILOSOPHIE PENALE DE L’ORDONNANCE DE 1945
Il est important de souligner[1]que l’ordonnance de1945 avait l’ambition de construire un nouveau modèle de justice. En effet, l’exposé des motifs affirme clairement la nécessité de « se dégager des cadres traditionnels de notre droit ». Or, souligne le préambule « le progrès de la science pénitentiaire d’une part, les données expérimentales fournies par l’application de la loi d’autre part, les conceptions qui se sont faits jour sur le planpsychologique et pédagogique » permettent de fonder une nouvelle doctrine.
Le principe d’irresponsabilité
« Désormais, tous les mineurs jusqu’à l’âge de dix-huit ans auxquels est imputée une infraction à la loi pénale ne seront déférés qu’aux juridictions pour enfants. Ils ne pourront faire l’objet que de mesures de protection, d’éducation ou de réforme, en vertu d’un régime d’irresponsabilitépénale qui n’est susceptible de dérogation qu’à titre exceptionnel et par décision motivée ». Cette affirmation du principe d’irresponsabilité pénale a suscité une grande perplexité chez les juristes. Comment peut-on à la fois imputer une infraction à un sujet et le déclarer en même temps irresponsable ? Dans le droit classique, il s’agit d’une contradiction dans les termes. A partir du moment où unindividu relève de juridictions, c’est qu’il est responsable. Le mineur de 18 ans peut être jugé par le juge des enfants ou le tribunal pour enfants ; il est donc responsable.
Or, c’est oublier que les rédacteurs de l’exposé des motifs veulent rompre avec les « cadres traditionnels de notre droit ». Ils veulent sortir l’enfant du droit pénal. Et pour cela, ils vont fonder la justice pénale…