Les animaux malades de la peste

décembre 21, 2018 Non Par admin

. 49-62 : l’intervention de l’âne.
Par opposition à tous les animaux mentionnés jusque là, l’âne n’est ni un carnivore, ni un prédateur. Appartenant au conseil du Roi, il n’est certainement pas un représentant du peuple ; mais il appartient sans aucun doute au dernier rang de la Cour. Psychologiquement, c’est un naïf, qui prend au sérieux le discours du Roi, et ignore la règle du jeu courtisan.Honnête, un peu ridicule dans son sérieux, il est condamné d’avance, sans pour autant susciter la pitié du lecteur : La Fontaine a l’art de raconter les faits les plus horribles avec le sourire !

La première faute de l’âne est de vouloir imiter les grands : « l’âne vint à son tour, et dit » est strictement parallèle à « Le Lion tint conseil, et dit ». Son discours, parfaitement équilibré, tente de »dire le vrai » : la réalité de la faute (v. 33-34), atténuée par avance par les circonstances (la faim, l’occasion, l’herbe tendre…) et par le peu d’ampleur du forfait : « la largeur de ma langue ».
Le « pré de moines » rappelle qu’à l’époque, couvents, monastères et abbayes étaient les plus gros propriétaires fonciers.

La surprise vient de la réaction unanime de la foule, et son immédiateté : »à ces mots on cria haro sur le baudet ». Crier haro signifie « désigner quelqu’un comme le coupable d’un forfait ». Le bouc émissaire est trouvé, et ce vers fait évidemment pendant au v.43 « et flatteurs d’applaudir » : même empressement, et même unanimité.

Et le réquisitoire est prononcé par… un loup, le prédateur par excellence ! Même si celui-ci est quelque peu frotté de droit (« clerc »), l’onvoit dans le rythme ternaire qu’il utilise « ce maudit animal, ce pelé, ce galeux… » toute la morgue des grands à l’égard des plus faibles, et toute leur mauvaise foi. La Fontaine utilise ici un discours indirect libre pour traduire le discours (« la harangue ») du loup.
Il est de fait, d’ailleurs, qu’à l’époque, le vol, commis par un pauvre (paysan braconnier, miséreux de la ville, errant sanslogis…) était plus lourdement puni qu’un crime de sang (un duel par exemple) perpétré par un Noble. Voir par exemple Rouget le Braconnier ou Jacquou le Croquant… Le cas était jugé « pendable », c’est à dire digne de la pendaison. Même dans les exécutions capitales, la hiérarchie subsistait entre les ordres : les Nobles avaient la tête tranchée à coup d’épée ou de hache en place de Grève, tandis queles roturiers étaient pendus au gibet de Montfaucon…
Si La Fontaine ne s’apitoie guère sur le sort de l’âne, il ironise sur la Cour et les Grands…

5ème partie : la moralité.
Le récit connaît une ellipse : nous ne saurons pas si ni comment l’âne a été exécuté, ni si la Peste s’est éloignée… en revanche, la « moralité » nous ramène, avec le « vous », à la société humaine. La fable n’est pasune satire de la justice : il est question des « jugements de cour », et la décision du Roi, prise en Conseil, est une décision politique.

Or, comme le fait remarquer Marc Fumaroli dans Le Poète et le Roi, parce que celui-ci, contrairement à Œdipe (celui de Sophocle ou celui, plus récent, de Corneille) refuse de se reconnaître coupable, refuse de se sacrifier, il est à prévoir que la pestedurera éternellement. Mais qu’est donc la peste, sinon cette atmosphère empoisonnée de mensonge, de calculs, d’hypocrisie, de flagornerie… où seule l’honnêteté est punie ?

La Fontaine ironise sur le fonctionnement de cette cour, dans laquelle les puissants s’arrogent tous les droits, et n’en reconnaissent aucun aux plus faibles ; il ironise sur l’hypocrisie des Grands, qui feignent de se conformerà la morale, de faire leur examen de conscience, mais se dépêchent de s’exonérer eux-mêmes de toute faute ; mais il raille aussi la naïveté des petits, qui prennent au sérieux les discours du Roi et de la Cour, et veulent s’y conformer sans connaître les règles du jeu.
Dans cette jungle qu’est la Cour, seuls s’en sortent les malins, les rusés… même au prix du crime. La Fontaine est sans…