Le mariage de figaro
FIGARO seul, se promenant dans l’obscurité, dit du ton le plus sombre :
O femme! femme! femme! créature faible et décevante!… nul animal créé ne peut manquer àson instinct: le tien est-il donc de tromper?… Après m’avoir obstinément refusé quand je l’en pressais devant sa maîtresse; à l’instant qu’elle me donne sa parole,au milieu même de la cérémonie… Il riait en lisant, le perfide! et moi comme un benêt… Non, monsieur le Comte, vous ne l’aurez pas… vous ne l’aurez pas. Parceque vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie!… Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier! Qu’avez-vous fait pour tant debiens? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire; tandis que moi, morbleu! perdu dans la foule obscure, il m’a falludéployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes: et vous voulez jouter… On vient…c’est elle… ce n’est personne. – La nuit est noire en diable, et me voilà faisant le sot métier de mari quoique je ne le sois qu’à moitié! (Il s’assied sur un banc.)Est-il rien de plus bizarre que ma destinée? Fils de je ne sais pas qui, volé par des bandits, élevé dans leurs mœurs, je m’en dégoûte et veux courir une carrièrehonnête; et partout je suis repoussé! J’apprends la chimie, la pharmacie, la chirurgie, et tout le crédit d’un grand seigneur peut à peine me mettre à la main une lancettevétérinaire! – Las d’attrister des bêtes malades, et pour faire un métier contraire, je me jette à corps perdu dans le théâtre: me fussé-je mis une pierre au cou!