Le malade imaginaire

septembre 17, 2018 Non Par admin

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LE MALADE IMAGINAIRE
Par Régis POUGET

ACADEMIE DES SCIENCES ET LETTRES DE MONTPELLIER Séance du 24/02/1997 Conf. n°2797, Bull. 28, pp. 35-38 (1998)

Le 17 février 1673, au cours d’une représentation, MOLIERE mourait en scène, dans le rôle du malade imaginaire. Les médecins craignent la fréquentation de tels malades malgré les substantiels revenus qu’ils leur procurent. Ils les traitentde haut ou de loin ou au contraire, les cajolent. Ils les disent atteints d’hypochondrie et les appellent hypochondriaques. Les plus lettrés ou ceux qui veulent le paraître, vont jusqu’à utiliser le terme recherché « d’arganisme ». Il est difficile dans ce domaine d’échapper à MOLIERE. Un auteur à succès de seconde catégorie quoique de l’Académie Française, Marcel PREVOST fait dire à l’un de sespersonnages qu’il est atteint de « névrosette ». Pour LITTRE c’est : « une sorte de maladie nerveuse qui fait croire aux malades qu’ils sont attaqués des maladies les plus diverses de manière qu’ils passent pour malades imaginaires, tout en souffrant beaucoup et qu’ils sont plongés dans une tristesse habituelle ». COTARD, un aliéniste célèbre du siècle dernier ajoutait : « une tendance maladive àen déterminer les causes ». Henri EY, plus près de nous, historiquement et géographiquement, « Estimation péjorative de l’état d’intégrité ou de santé du corps ». donnait pour définition :

Dans un rapport écrit en 1975, un montpelliérain, Henri MAUREL décrivait cette maladie ainsi : « Le sujet, habile à paraphraser le discours médical obtient de son alter ego (le médecin) une consultation quideviendra le lieu de leur affrontement. Cette collaboration, complicité ambivalente dont la rivalité n’est jamais absente engage le patient dans l’auto-observation souvent écrite, des rythmes et cheminements ténébreux, directement perçus de ses propres viscères. Absorbé par les rites compliqués de sa vie et de sa diététique, il élabore une théorie de son mal. Il met en échec une légion dethérapeutes. Ce patient difficile associe l’exigence à la notion d’incurabilité ». Si nous nous référons à l’Histoire, nous constatons que GALIEN le premier utilise le terme que reprendra BOISSIER DES SAUVAGES et auquel le XIXe siècle donnera ses lettres de noblesse littéraires sous le nom de spleen. La littérature nous conduit spontanément à MOLIERE mais n’oublions pas : DOSTOÎEWSKI, DUHAMEL, Thomas MANN,Jules ROMAINS.

Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, 1997, Régis Pouget

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Quel est l’être au monde du malade imaginaire ? Comment conçoit-il, organise-t-il, régente-t-il sa vie ? Quelles sont ses relations à l’autre, avec les autres ? Quelle est sa position sur les grands problèmes de l’existence, en particulier sur la maladie je veux dire la sienne. Les organes les plusconcernés sont la tête, la face, l’abdomen le poumon. Le médicament a valeur de parole pour établir une relation. Les plantes sont chargées ‘d’une valeur mythique. On retrouvera les régimes alimentaires spéciaux les plus étranges et les plus irrationnels. L’argent, les biens traduisent une certaine avarice qui procède d’un besoin de retenir, de ne pas laisser échapper. La comptabilité tient un grandrôle. Dans la pièce de MOLIERE au premier acte, ARGAN tient sa comptabilité et énumère une après l’autre les dépenses. Ce culte du chiffre se retrouve dans la tenue des relevés et des courbes de tension artérielle, de poids, de température, des heures de sommeil ou d’apparition des symptômes ainsi que leur liste. Les preuves de la maladie sont inlassablement recherchées, contrairement aux individusordinaires qui recherchent la preuve de leur bon état de santé. On verra entrer dans le circuit : les analyses diverses, les dosages, les images radiographiques précédant celles de tomodensitométrie (scanner) puis l’imagerie de résonance magnétique. Les selles et les urines sont l’objet d’une particulière attention. Parmi les symptômes apportés généreusement, souvent par écrit, au médecin, le…