Le jardin des supplices
Le jardin des Supplices, Octave Mirbeau.
Le jardin des Supplice d’Octave Mirbeau est paru en 1899. Cet ouvrage composite au sens où il procède d’une accumulation de textes conçus indépendamment les uns des autres nous plonge dans la Chine de la fin du 19ème siècle. « Pages de meurtre et de sang » dédiés « aux prêtres, aux soldats, aux juges, aux hommes qui éduquent, dirigent, gouvernent leshommes » ce roman peint un défilés de débauches et de souffrances dont les anecdotes successives tendent à dénoncer l’infamie et la bassesse de l’humanité. Le texte qui nous intéresse est extrait de la troisième partie du roman et se déroule au bagne de canton où le personnage principal assiste en compagnie de son initiatrice Clara, à une succession de tortures. Parmi les plus insoutenables, latorture dite du rat qui consiste à faire dévorer de l’intérieur le condamné par le rongeur, donne lieu à la suite de son exécution devant le regard complice de la jeune femme, à un ensemble de considérations générales énoncé par le bourreau. Ce dernier s’improvise botaniste et encourage dans une glorification de la reproduction des fleurs à suivre l’exemple de la nature.
Nous verrons en quoi cetexte procède d’une double invitation au plaisir et dénonce la société occidentale. Pour cela nous nous intéresserons au discours du bourreau qui, par l’adoption d’une posture scientifique et professoral incite les personnages à suivre l’exemple des fleurs. Nous tenterons de montrer en quoi l’attitude du personnage féminin relève d’une théâtralisation de l’acte sexuel, et essaierons de comprendrecomment cette double invitation à la jouissance dénonce la société occidentale en prenant le contre-pied de la moralité bourgeoise par l’affirmation de la primauté de la nature sur la culture.
L’extrait s’ouvre sur une « leçon » de botanique énoncée par le bourreau. Celui-ci mène une sorte d’exposé sur le principe essentiel de la fleur à savoir la reproduction. Celle-ci est réduite à ses simplesfonctions sexuelles comme il l’énonce quelques lignes plus haut « la fleur n’est qu’un sexe ». Mais cette affirmation loin d’être l’objet d’une réduction dépréciative est au contraire le lieu d’une glorification puisque à la fin de son discours le « gros patapouf » tel qu’il est décrit par Clara exultera cette dernière à suivre leur exemple. La fleur est personnifiée par l’expression « gorgéesd’amour » et les substantifs « frémissante, « femelle » « spasme ». Elle est également érotisée par sa réduction aux organes génitaux. En effet, elle est réduite aux pistils, organe sexuel féminin, puisque les pétales apparaissent comme accessoires et ne sont que le voile posé sur la pudeur de l’acte d’amour « rideaux du lit », « draperies de la chambre »…
La fleur ainsi présentée, ne vie que pourl’amour. Le rapport sexuel apparait comme nécessité absolue de la vie puisqu’elle est l’essence même de la fleur, mais il est également le lieu de son anéantissement. Les fleurs dès lors qu’elles sont fécondées meurt « parce qu’elles savent bien qu’elles n’ont plus rien à faire ». Nécessitée de la vie, prémices de la mort, Le sexe obéit à des nécessités qui dépassent l’individuel, le sexe c’estl’ascension vers l’universel puisque si il est mortifère il est aussi le principe de régénérescence : « elles meurent pour renaitre plus tard, et encore à l’amour ». Cette fusion entre nécessité de la mort et élan vital crée une tension entre ces deux éléments qui s’exprime à travers la mise en scène de la fusion entre Eros et Thanatos. Sexe et mort se lient dans ce spasme ou plutôt cet orgasme ultime àla fois aboutissement et nécessité de la vie. Aboutissement car la fleur à partir du moment où elle n’est qu’un sexe ne peut justifier son existence que par cette contraction mortifère et nécessité de la vie puisque c’est cette mort qui permet la pérennité de l’espèce.
La reproduction de la fleur est par ailleurs un acte « dépersonnalisé » une sorte de communion multiple indistincte et…