Lambeaux, c.juliet
Dans « Lambeaux » publié en 1995, œuvre au caractère biographique, Charles Juliet se plonge dans les émois de la vie et les grands tourments de l’existence. Son ouvrage s’organise en deux parties entre lesquelles se tissent des liens par un fil doré ; l’écriture. La première, porte l’emprunte de sa mère naturelle « l’esseulée », « l’étouffée ». Dans la seconde partie, l’auteur renaît lui-même àtravers ses souvenirs qu’il expose avec une sagesse d’adulte et un style haletant. Ce projet de toute une vie, est un message adressé à une mère inconnue, un hommage à l’apprentissage long et pénible de cet art impénétrable qu’est celui d la littérature. Il y a cependant plus derrière de simples lambeaux de vie qu’une belle histoire ; il s’y cache en réalité un véritable combat intérieur. Une quêtede l’identité, une renaissance ; celle d’un fils, une résurrection spirituelle ; celle d’une mère, symbole des biffés des censurés.
Son récit, Charles Juliet a mis douze ans à l’écrire ; il est le projet d’une vie. De plus il marque un tournant dans son œuvre. Après sa parution, il délaissera ses Journaux et la Poésie pour se consacrer à la fiction.
Charles Juliet avait au commencementpour intention, de rédiger « Lambeaux » sous la forme d’une lettre à sa mère. Et dans la version définitive c’est un peu comme tel qu’il apparaît. L’emploi du pronom tu, fait se glisser le lecteur dans une ambiance douce une atmosphère familial, personnelle presque intime.
À de nombreux points de vue, la construction de ce livre rappelle des lambeaux. La disposition des paragraphes, leur engrangepeu accordé, suggère des fragments d’écrits, agencés tout de fois de manière à former un tout cohérent. Ce sont des images violentes retrouvées dans la vie des deux personnages, puis leurs personnalités déchirées, éclatées, « en lambeaux », qui ne sont unifiées qu’à la fin. L’écriture en morceaux (phrases courtes incomplètes, blancs typographiques) démontre bien l’univers d’un récit basé sur desruptures.
Sans détours ni sous entendus, par libellés lentes, granitiques, il accède aux racines tranchées, extirpe sa mère du rien en lui donnant la parole.
Malgré ces lambeaux d’existences, ces éraflures, il existe bien un lien entre ces deux portraits dressés par Juliet, c’est l’écriture.
Celle-ci est en permanence évoquée au cours du récit. Elle se pose en libératrice à la mère quirêvait d’évasion. Cette femme « l’étouffée », tenait un petit journal intime, dans lequel elle exposait successivement ses questionnements, ses tentatives de réponses…
Là s’exerce la filiation, comme si Charles devenait le prolongement, le désir réalisé, d’une mère à la vie déchirée qui ne pouvait s’éteindre ainsi. Pour lui, écrire, permet de résoudre des conflits intérieurs et de les dépasser.C’est une manière d’avancer dans la connaissance de soi-même et de digérer ses conflits…
Et l’histoire de ces protagonistes n’aurait pu être dévoilée sans le travail d’écriture que Juliet a dû faire pour se révéler à lui-même. Il dira d’ailleurs ; « le rôle de l’écrivain est de prêter à autrui les mots dont il a besoin pour avoir accès à lui-même ».
Lambeaux, est avant tout le récit tumultueux d’uncombat intérieur.
Arraché dès l’enfance à sa famille, Charles Juliet grandit avec un problème d’identité. Elle est présente sans relâche sous toutes ses formes et sous toutes ses coutures. D’abord, c’est celle de la mère naturelle qui cherche, se questionne, qui se dévoue toute entière aux siens, mais qui sent en elle faille honteuse. Une qui sans relâche tente d’aller toujours plus loindans la connaissance d’elle-même et du monde des autres. Mais qui finit par tourner inlassablement en rond. La seconde, c’est la sienne et cette quête d’identité passe nécessairement par un retour aux origines, une interrogation sur l’héritage génétique, culturel. Ainsi, en recréant sa mère, en lui donnant la parole il se recrée lui-même. Comme s’il mettait au monde sa propre mère.
Cette…