La poesie engage
Quelle que soit la référence à travers les époques, la poésie peut être considérée comme un genre engagé, puisqu’elle répond à cette triple fonction communicative favorisant la transmission des connaissances : spirituelles et philosophiques, ludiques et émotives, sociales et politiques, depuis ses origines, il y a plus de mille ans. Même à la période médiévale où elle était seulement chantée,elle a toujours appartenu au monde matériel qu’elle sublime et qu’elle illumine. La poésie, de fait, s’intéresse à l’Histoire, non seulement à celle de l’âme humaine et du cœur (son domaine de prédilection), mais à l’Histoire proprement dite : celle des faits, des évènements, de l’accumulation matérielle. Elle a toujours été guidée par des concepts idéaux et fait figure de « mémoire des peuples ».Plusieurs écrivains, philosophes et poètes se sont interrogés sur « la conscience de la poésie », sur son archétype culturel. Voltaire, au XVIIIe, siècle, se posait la question sur la véritable place qu’occupe la poésie dans la société quand il écrivait dans son « Dictionnaire philosophique » : » – On se demande comment la poésie, étant si peu nécessaire au monde, occupe un si haut rang parmi lesbeaux-arts ».
Je pense qu’on pourrait répondre à cette interrogation par le simple fait que la poésie est de « circonstance », et que les poètes, de tout temps, ont décidé de prendre position, à l’instar des historiens, pour témoigner au nom d’un idéal d’humanité, soit des injustices exercées autour d’eux, soit de la misère et de la perfidie du monde les entourant, passant ainsi du rêve poétique àl’action politique. On ne peut que penser à Ronsard qui, dans ses « Discours » plaidait en faveur de la fin des guerres de religion, à la Renaissance. Son poème : « Remontrance au peuple de France » en est la parfaite illustration. D’Aubigné, à l’époque du Baroque, dans ses « Tragiques » (Le tyran et le roi), ainsi que Chénier « Odes à Charlotte Corday » ; ou encore Victor Hugo : « Les Orientales », « lesfeuilles d’automne », ainsi que Musset : « Le Rhin allemand » ou Lamartine : « La Marseillaise de la paix » ont écrit une poésie engagée. On le voit bien : guerre, paix, tyrannie et liberté ont toujours été l’obsession des poètes.
Si écrire ou lire des poèmes peut sembler, de nos jours une activité obsolète et dérisoire, coupée du monde des réalités, une étude approfondie de l’histoire de la poésie,montre que ces griefs portés à l’encontre de ce genre littéraire, sont totalement infondés. La poésie est l’essence même de la nature de son éloquence qui s’appuie à la fois sur la satire d’évènements précis et porteurs à la hauteur ou à la solennité d’un événement, et à l’ironie qu’elle est capable d’engendrer par sa force symbolique, de ce qui est le reflet de la société, et dont chaque poète portela marque de son temps ainsi que de son humeur particulière. Elle est faite d’allusions, tout en s’assignant d’une mission sociale et politique, notamment avec le romantisme.
Déçu et fatigué par l’existence et se sentant également inadapté à un monde qui le dépasse, qui s’industrialise, le poète, tel un visionnaire, cherche des « ailleurs » apaisants. Il fait souvent référence à Dieu qui auraitabandonné les hommes à leur triste sort, les livrant à la démesure, et les éloignant des sources de la méditation et de la réflexion. L’homme sans poésie vivrait-il un rêve qui n’est qu’un autre moyen de s’abstraire du réel, alors que le poète, lucide, serait mieux à même d’explorer les profondeurs de l’Être ? De penseur il deviendrait voyant.
La poésie est donc civilisatrice. L’immense poème des »Châtiments », de Victor Hugo, en 1853, en est la brillante et parfaite illustration, où le poète se livre à une violente satire contre Napoléon III, coupable, à ses yeux, d’avoir fait chuter la seconde République par un coup d’État meurtrier pour instaurer le second Empire. Voilà bien, encore, un exemple que la poésie, au delà de la musicalité de la rime et du rythme, demeure profondément…