La fontaine
Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard, par l’odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
« Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau.
Que vous êtes joli !que vous me semblez beau !
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois. «
A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ;
Et pour montrer sabelle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s’en saisit, et dit : « Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute :
Cette leçon vautbien un fromage, sans doute. «
Le Corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.
La Cigale, ayant chanté
Tout l’été
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise futvenue:
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle.Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l’août, foi d’animal,
Intérêt et principal.
La Fourmi n’est pas prêteuse:
C’est là son moindre défaut.
Que faisiez-vous au temps chaud?
Dit-elle à cetteemprunteuse.
Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
Vous chantiez? j’en suis fort aise:
Eh bien! dansez maintenant.
Rien ne sert de courir ; il faut partir à point.
LeLièvre et la Tortue en sont un témoignage.
Gageons, dit celle-ci, que vous n’atteindrez point
Si tôt que moi ce but. Si tôt ? Êtes-vous sage ?
Repartit l’Animal légerMa Commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d’ellébore.
Sage ou non, je parie encore.
Ainsi fut fait : et de tous deux
On mit prèsdu but les enjeux.
Savoir quoi, ce n’est pas l’affaire ;
Ni de quel juge l’on convint.
Notre Lièvre n’avait que quatre pas à faire ;
J’entends de ceux qu’il…