La démocratie morale

janvier 1, 2019 Non Par admin

La démocratie morale selon TocquevilleLE DESSEIN D’ALEXIS DE TOCQUEVILLE dépasse l’ambition purement sociologique : l’écrivain cherche moins à découvrir le fonctionnement des institutions démocratiques qu’à comprendre la transformation de l’homme par la démocratie. La démocratie modifie en profondeur la conception de la nature humaine à laquelle il fait explicitement référence :  » Ce sont commedeux humanités distinctes, dont chacune a ses avantages et ses inconvénients particuliers, ses biens et ses maux qui lui sont propres .  » Il y aurait comme deux lectures possibles de Tocqueville ; soit on considère qu’il nous livre un mode d’emploi du régime démocratique à travers une analyse extrêmement détaillée de ses institutions et de leur fonctionnement ; soit on envisage chez Tocqueville unsouci non seulement politique mais aussi moral et métaphysique. C’est la lecture qu’en fait Agnès Antoine (L’Impensé de la démocratie, 2003) lorsqu’elle voit dans le voyage en Amérique plus qu’un récit de voyage .Dans cette perspective, nous avons choisi de questionner la morale face à l’individualisme des sociétés démocratiques à la lumière de la problématique tocquevillienne telle qu’elle estabordée dans la Démocratie en Amérique. C’est avec l’horizon américain que le système démocratique sera envisagé. Les caractéristiques qui distinguent l’Amérique du Vieux Continent, et que Tocqueville souligne, sont considérables, mais elles servent en fait à mettre en valeur l’égalisation des conditions comme fil directeur de l’histoire européenne, de même qu’elle est le fondement de laConstitution américaine .Cependant, Tocqueville ne dresse pas un portrait idyllique de cette nouvelle humanité, car l’homme de la rationalité peut aussi être celui de la déraison. Il aperçoit le danger qui guette l’homme rationnel ; le jaillissement de l’idée démocratique, qui coïncide avec l’avènement du sujet moderne défini par la conscience de soi et l’auto-réflexion, peut ne pas garantir la liberté etl’égalité auxquelles les hommes ont naturellement droit. Pourtant, le gouvernement de tous par tous est l’outil qui permet de passer du stade d’individu, qui est celui de l’état de nature, au statut de sujet dont la liberté se vit sous la forme de l’autonomie. Le pacte politique constitue, sous cet angle, une métamorphose volontaire par laquelle l’individu advient comme citoyen-sujet, membre du corpspolitique. Il s’agit de renoncer à la qualité d’être monadique, attribut de l’individu par excellence, pour devenir, par raison et volontairement, partie d’un corps collectif. L’étude proposée par Tocqueville nous montre qu’une société qui a pour principe l’autonomie du sujet ne peut qu’engendrer un débat sans fin sur les droits et les limites à apporter à cette liberté. Il ne suffit pas decerner les fondements de la société démocratique, il faut aussi comprendre que les pratiques réelles peuvent ne pas confirmer le modèle théorique. On peut craindre que les citoyens ne fassent usage de leur liberté que pour chercher à favoriser leurs propres intérêts. Le projet démocratique place les hommes dans une étrange position : dotés d’une souveraineté qui leur vient de leur égalité naturelle, illeur faut chercher à comprendre ce qu’ils feront de la liberté reconquise après des siècles d’absolutisme. On trouvera chez Tocqueville l’idée d’une création de l’homme par lui-même, car pour devenir homme il faut que la nature qui le définit s’incarne dans le corps politique, celui-ci exprimant et reflétant sa nature en même temps qu’il définit son humanité. Simultanément, on percevra uneprofonde inquiétude sur l’avenir de cette nouvelle humanité, livrée aux défis qu’elle secrète en elle-même.Une  » science nouvelle  » contre le narcissisme démocratiqueLe mérite de Tocqueville est d’avoir mis en évidence les cercles infernaux dans lesquels la démocratie peut sombrer. Il y a dans la société démocratique deux écueils qui relèvent tous deux de ce qu’on pourrait appeler  » le narcissisme…