Justice mineurs
Justice des mineurs aux Etats-Unis
MARIE BOËTON
EN 2001, Lionel Tate était condamné à la prison à vie
pour avoir tué sa petite voisine. Il avait 12 ans au
moment des faits. Au dire du procureur, la gravité du
crime justifiait qu’on ne fasse pas cas de son jeune âge et qu’il
soit jugé comme un adulte. Son procès n’est pas une erreur de
parcours, un égarement de la justice américaine,mais bien
plutôt le reflet de ce qu’est devenue la justice des mineurs aux
Etats-Unis. Depuis une dizaine d’années, le nombre d’adolescents
jugés en tant qu’adultes aux Etats-Unis est en constante
augmentation. Procureurs usant et abusant de leurs pouvoirs,
journalistes couvrant à outrance la délinquance juvénile,
intellectuels progressistes luttant pour la reconnaissance des
droits del’enfant identiques à ceux des adultes, législateurs
inquiets des coûts élevés des prisons pour adolescents : tous
ont joué un rôle, parfois malgré eux, dans le démantèlement
de la justice des mineurs.
Constat alarmant
Aujourd’hui considérée par nombre de psychologues, criminologues,
avocats, juges, comme n’étant plus que l’ombre
d’elle-même, la justice des mineurs américaine est pourtant
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Justice des mineurs aux Etats-Unis
MARIE BOËTON
Correspondante pour La Croix à Washington.
née aux Etats-Unis. La première cour « juvénile » voit le jour
en 1899 dans l’Etat de l’Illinois. En 1925, pas moins de quarante-
six Etats sont dotés d’institutions spéciales pour juger
des crimes et délits impliquant des adolescents, permettant à
ces derniers d’hériter de peines moinslourdes que celles infligées
aux adultes et d’être emprisonnés dans des centres de
détention prévus à leur intention.
Depuis 1992, quarante-neuf Etats ont revu leur législation,
afin de pouvoir juger un plus grand nombre d’enfants
en tant qu’adultes.De plus en plus souvent sur simple décision
du procureur, les mineurs les plus violents comparaissent
devant une cour pour adultes, aussi appelée «cour criminelle
». Ils sont plus lourdement sanctionnés et détenus dans
des prisons classiques. Entre 1985 et 1997, le nombre d’adolescents
incarcérés en centre pénitencier pour adultes doublait.
Dans certains Etats, comme au Vermont et au Kansas, l’âge
minimal pour être jugé comme adulte en cas de crime grave
s’établit à 10 ans.
Les transferts de mineurs des cours juvéniles vers lescours criminelles ont toujours eu lieu, mais restaient extrêmement
rares. Certains mineurs multirécidivistes ou auteurs
d’homicides particulièrement sauvages pouvaient toujours
être transférés vers une cour criminelle. Les conditions
du transfert sont, dans de nombreux Etat, moins restrictives
aujourd’hui.
Sévérité des sanctions
Transféré en cour pour adulte, l’enfant risque une sanctionbeaucoup plus lourde qu’en cour juvénile. Dans cette dernière,
sa condamnation ne dépasse presque jamais les dix ans de prison.
Très rares sont, par exemple, les mineurs encore détenus
à l’âge de 25 ans. A l’inverse, jugé comme adulte, le jeune
encourt une sanction illimitée. Comme le réaffirmait la Cour
Suprême en octobre 2002, la peine de mort pour un mineur
âgé de 16 ans ou plus estconforme à la Constitution. Enfin, la
peine d’un mineur condamné par un tribunal pour enfants
n’apparaît pas dans son casier judiciaire. Le déroulement de
son procès même reste confidentiel ; il n’est pas livré en pâture
à la presse. Il perd ces avantages lorsque l’on décide de son
transfert en cour criminelle.
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Conçues pour juger des adultes, les cours criminelles
semblent dans l’incapacitéde s’adapter au cas particulier
que représente un coupable enfant : « Elles n’ont aucun outil
juridique leur permettant de tenir compte de l’immaturité
d’un enfant », explique Franklin E. Zimring, professeur de
droit à Berkeley et directeur du centre de recherche de justice
criminelle Earl Warren Legal Institute. En mars 2003, une
étude publiée par la John D. and Catherine T. Mac Arthur…