Jusqu’où peut-aller la décentralisation?
Jusqu’où peut aller la décentralisation ?
Pierre MAUROY écrivait en 1977 : « La décentralisation est aujourd’hui le meilleur moyen de réaliser et d’accentuer la démocratie. Elle est, pour tous, la possibilité d’accéder à la responsabilité et à la liberté […] La décentralisation sera au cœur de l’expérience du gouvernement de la gauche […] La République se sera enfin libérée de lamonarchie ».
La tradition jacobine française consiste en effet en un centralisme appuyé : les décisions sont prises dans la capitale et l’État est organisé en « sous-localités » dépendantes financièrement et décisionnellement du niveau national, ces sous-localités n’étant que de simples relais d’une organisation générale descendante. Cette centralisation s’accompagne d’une déconcentration qui consiste àdéléguer des compétences à des agents de l’État répartis sur tout le territoire.
A l’inverse, la décentralisation consiste pour l’État à transférer vers une personne morale de droit public inférieure et distincte de lui des pouvoirs ainsi que les moyens financiers, fiscaux et administratifs correspondants. On distingue la décentralisation territoriale qui s’applique à des collectivités locales élues,de la décentralisation fonctionnelle qui concerne les institutions spécialisées dotées de la personnalité morale comme les établissements publics. Cette dernière est uniquement technique, et c’est la décentralisation territoriale qui comporte les implications juridiques et politiques les plus importantes. C’est donc sur celle-ci que nous nous concentrerons ici.
Malgré sa traditioncentralisatrice, la France connaît depuis maintenant presque trente ans une poussée décentralisatrice, principalement due à l’essor des thèses libérales qui a conduit à rechercher l’accroissement de l’autonomie locale et individuelle. Néanmoins, d’autres facteurs ont amené la France à reconnaître aux différentes collectivités qui la composent un certain degré d’autonomie ainsi que des compétences propres. Onpeut notamment citer les considérations démocratiques concernant le droit des citoyens à participer à la vie locale, la complexification des politiques publiques, l’intégration européenne qui s’est accélérée depuis le traité de Maastricht en 1986, ou encore les revendications régionalistes corses, bretonnes et autres qui ont contribué à orienter les conceptions institutionnelles françaises vers ladécentralisation afin de répondre à ces demandes d’autonomie. Il s’agit d’une dynamique qui se poursuit, et cette continuité amène à la question suivante : jusqu’où ce processus pourra-t-il se prolonger ?
Nous étudierons donc le processus de décentralisation tel qu’il a eu lieu jusqu’à aujourd’hui (I), avant de nous pencher sur les limites qu’il rencontre et rencontrera éventuellement (II).
I)Une évolution institutionnelle majeure.
Les différentes mesures de décentralisation en France ont eu des effets juridiques importants sur l’organisation territoriale et la répartition des compétences. Néanmoins, les contextes y étant évidemment très différents, il convient de distinguer les mesures prises et leurs implications dans l’Outre-mer (A) et en métropole (B).
A) Outre-mer
LaFrance d’outre-mer permet de désigner collectivement l’ensemble des terres sous souveraineté française situées hors métropole. Ces territoires sont les reliquats des anciennes colonies françaises, ce qui explique l’originalité de leurs statuts par rapport à ceux des collectivités métropolitaines.
L’outre-mer français a été réorganisé par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 et la loi deprogramme pour l’outre-mer du 21 juillet 2003. Depuis lors, la Constitution reconnaît l’existence de « populations d’outre-mer » (article 72-3) et établit les catégories de collectivités suivantes en outre-mer : les départements et régions d’outre-mer (DOM et ROM : Guadeloupe, Guyane, Martinique, Réunion) ; les collectivités d’outre-mer (COM : Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon,…