Flaubert maitre

août 17, 2018 Non Par admin

Flaubert : les problèmes de l’héritage

Un ancêtre malgré lui L’héritage de Flaubert, particulièrement riche, implique un certain nombre de paradoxes et peut être abordé sous plusieurs aspects. Tout d’abord, celui de la biographie, destinée à s’effacer derrière l’œuvre littéraire : l’écrivain, qui a refusé la paternité, a engendré plusieurs fils spirituels, sans parler des fils naturels que luiattribue une légende entrée dans l’histoire littéraire. La postérité de l’œuvre flaubertienne suit le même itinéraire. Le romancier, qui n’a jamais caché son hostilité à l’égard des critiques (classe de parasites dans la République aristocratique des Lettres), est devenu une référence obligée pour nombre de critiques représentant des tendances et des présupposés idéologiques variés. Vers la finde sa vie, Flaubert n’a cessé de protester contre les nouvelles écoles littéraires qui, s’appropriant son œuvre, l’érigeaient contre son gré au rang de maître1. L’écrivain, qui se figurait volontiers en ermite, a fini par prêcher dans le désert : la postérité reste sourde à ses grognements et à son indignation ; son nom sera accaparé par une série de mouvements et de tendances artistiques tout aulong du vingtième siècle. Une habile sélection de textes, présentant les diverses approches de l’œuvre flaubertienne, pourrait constituer une anthologie des grands courants de la critique littéraire, depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à la fin du XXe. Chaque période, chaque tendance semble façonner sa propre image de Flaubert. Écrivain déchiré entre romantisme et réalisme, romantique effréné,naturaliste ou positiviste sans cœur, sadique, nihiliste, décadent et pervers, artiste moderne (par excellence) ou post-moderne (par excellence), précurseur du Nouveau roman et du Nouveau nouveau roman (car, visiblement, les héritiers ont du mal à renchérir sur la longévité de leur ancêtre), ce romancier aux multiples visages a reçu de multiples étiquettes, mais ne s’est jamais laissé enfermer dans cescartons si bien emballés… et si réducteurs. Dans cet exposé sur l’imitation et l’originalité dans l’œuvre flaubertienne, je me propose d’aborder la question d’un autre point de vue. Au lieu d’examiner quelle est la part que les nombreux descendants de Flaubert ont choisie dans cet héritage, il s’agira de remonter aux aïeux choisis par le romancier lui-même. Qui sont ceux que Flaubert cite commemodèles de sa propre création artistique ? Quelle est la filiation à laquelle il souhaite se rattacher, et quels sont les repères qui l’aident à élaborer sa propre conception romanesque ? La société des maîtres : des géants aux artisans À la fin de L’Éducation sentimentale de 1845, Jules, qui peu à peu devient le seul protagoniste du récit, trouve sa vocation littéraire. Son idéal esthétique, quis’esquisse dans les
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« À propos de mes amis, vous ajoutez “mon école”. Mais je m’abîme le tempérament à tâcher de n’avoir pas d’école ! À priori, je les repousse, toutes. Ceux que je vois souvent, et que vous désignez, recherchent tout ce que je méprise et s’inquiètent médiocrement de ce qui me tourmente. » (à George Sand, décembre 1875, Corr., Paris, Conard, nouvelle édition augmentée, t.7, p. 281. Cf. « À bas les Écoles quelles qu’elles soient ! À bas les mots vides de sens ! À bas les Académies, les Poétiques, les Principes ! » (à Léon Hennique, nuit de lundi, 2-3 février 1880, Corr., éd. cit., t. 9, p. 370).

Revue d’Études Françaises

No 8 (2003)

dernières pages du roman, semble particulièrement révélateur : le personnage, doté de l’âge de son créateur, reste la seulefigure d’artiste dans toute l’œuvre flaubertienne à venir, traversée par des dilettantes, des ratés et des velléitaires. L’aspiration de Jules apparaît comme une tentative de synthèse fondée sur l’érudition littéraire :
Il eût souhaité reproduire quelque chose de la sève de la Renaissance, avec le parfum antique que l’on trouve au fond de son goût nouveau, dans la prose limpide et sonore du…