Faut-il lire pour s’amuser ou pour s’instruire ?
La ville de Paris était noyée dans la pénombre. Ce 4 janvier 2010, la tempête perdurait depuis la matinée. Il sonnait dix-neuf heures lorsqu’Élisabeth Trentelivres quitta avec hâte le lycée de l’Élysée. Parapluie et encyclopédies en mains, elle marchait d’un pas frénétique, sillonnant les rues de Paris. Soulagée, elle fit son entrée dans le café du Prodige, situé au coeur de la rue des Penseurs.Elle s’assit aux côtés d’un de ses camarades, Édouard Dacquembronne. Il la regarda avec compassion avant de jeter un œil aux ouvrages qu’elle amenait. Une discussion très animée s’apprêtait à commencer.
« N’en as-tu pas assez ? demanda poliment Édouard.
Excuse-moi ? rétorqua sèchement la jeune étudiante.
À peine sors-tu de cours que tu te plonges déjà dans ce charabia historique etphilosophique.
J’ai besoin de cela. Le savoir, c’est la vie. Il ne faut cesser de le cultiver si l’on veut s’en nourrir, lui lança prétentieusement Élisabeth. Et pour le cultiver, il faut apprendre à réfléchir. La lecture est la base de la réflexion.
Je ne vois pas cela sous cet angle, dit le jeune homme avec un sourire narquois. Pour moi, la lecture est avant tout une source de détente et dedistraction.
Ne réfléchis-tu donc jamais à ce que tu lis ? questionna-t-elle avec confiance.
Non. Je lis, cela suffit. C’est une sorte d’échappatoire, cela distrait mes pensées et j’en oublie ce qui se passe autour. »
Déconcertée, la jeune fille quitta la table pour aller s’installer sur une douillette banquette située au fond de la salle. Persuadé d’avoir été maladroit, Édouard s’empressa de larejoindre et posa ses livres en face d’elle. Elle le fixa quelques secondes puis lui fit signe de s’asseoir.
« Quel ouvrage lis-tu en ce moment ? interrogea timidement le garçon.
Du contrat social, de Rousseau, répondit froidement Élisabeth.
J’ai vraiment du mal à lire ce genre d’œuvres littéraires. Y trouves-tu ton compte ?
Bien sûr. Je ne veux pas faire des études de droits pour rien. Parexemple, le chapitre VI nous présente le point de vue de Rousseau sur la dictature. Cela me force à réfléchir, et à analyser le passé et le présent, de façon à ne pas refaire les mêmes erreurs dans le futur, répondit-elle avec un intérêt considérable. Ma culture est également , j’en apprend plus sur les évènements passés. Je trouve tout cela vraiment passionnant.
Lire pour réfléchir est, pourmoi, une perte de temps, tonna l’étudiant. Il faut prendre du plaisir dans la lecture ! Il me semble que nous ne réfléchissons pas toujours sur un sujet qui nous plaît, alors pourquoi s’embarquer dans des histoires philosophiques ennuyantes ? Autant se détendre et apprécier.
Je ne suis pas convaincue, répliqua Élisabeth d’un air hautain. La lecture a été créée pour la réflexion du lecteur. JeanGuéhenno a dit : « La vraie lecture commence quand on ne lit plus seulement pour se distraire et se fuir, mais pour se trouver. »
Ce n’est pas vrai. Prenons la série de Mary Higgins Clark. Aucune réflexion n’est suscitée chez le lecteur, il lit pour se détendre et savourer le fictif de l’histoire. De plus, le roman permet diverses interprétations et imaginations. Nous n’avons donc plus qu’àprofiter d’un moment d’évasion. Vraiment, je pense que la lecture est mère de détente et de plaisir, conclut avec fierté Édouard. »
Une bonne heure passée, Élisabeth soupira et, en se levant, invita son camarade à la suivre dans la rue voisine. La tempête s’était calmée et un léger rayon de soleil perçait le ciel encore noir.
« Comment fais-tu pour ne pas te lasser de tes encyclopédieshistoriques et littéraires ? poursuivit-il. C’est vrai, cela doit être pénible de ne trouver aucun plaisir dans la lecture. Le passé, c’est le passé, il faut aller de l’avant ! Ces ouvrages ne font que faire revivre des évènements révolus que la population oublie peu à peu. On a besoin de rêve, d’imagination !
Cela fait partie de notre culture, comment peux-tu mépriser le passé à ce point ? renchérit…