Etude
L’étude de Gargantua selon la discipline de ses précepteurs (1) sophistes (2)
Chapitre XXI
[…]
Il employait donc son temps de telle façon qu’ordinairement il s’éveillait entre huit et neufheures, qu’il fût jour ou non ; ainsi l’avaient ordonné ses anciens régents (3), alléguant ce que dit David : Vanum est vobis ante lucem surgere (4).
Puis il gambadait, sautait et se vautrait dans lelit quelque temps pour mieux réveiller ses esprits animaux (5) ; il s’habillait selon la saison, mais portait volontiers une grande et longue robe de grosse étoffe frisée fourrée de renards ; après,il se peignait du peigne d’Almain (6), c’est-à-dire des quatre doigts et du pouce, car ses précepteurs disaient que se peigner autrement, se laver et se nettoyer était perdre du temps en ce monde.Puis il fientait, pissait, se raclait la gorge, rotait, pétait, bâillait, crachait, toussait, sanglotait, éternuait et morvait comme un archidiacre (7) et, pour abattre la rosée et le mauvais air,déjeunait de belles tripes frites, de belles grillades, de beaux jambons, de belles côtelettes de chevreau et force soupes de prime (8).
Ponocrates (9) lui faisait observer qu’il ne devait pas tant serepaître (10) au sortir du lit sans avoir premièrement fait quelque exercice. Gargantua répondit :
« Quoi ! n’ai-je pas fait suffisamment d’exercice ? Je me suis vautré six ou sept fois dans le lit avantde me lever. N’est-ce pas assez ? Le pape Alexandre faisait ainsi, sur le conseil de son médecin juif, et il vécut jusqu’à la mort en dépit des envieux. Mes premiers maîtres m’y ont accoutumé, endisant que le déjeuner donnait bonne mémoire : c’est pourquoi ils buvaient les premiers. Je m’en trouve fort bien et n’en dîne (11) que mieux. Et Maître Tubal (12) (qui fut le premier de sa licence (13) àParis) me disait que ce n’est pas tout de courir bien vite, mais qu’il faut partir de bonne heure. Aussi la pleine santé de notre humanité n’est pas de boire des tas, des tas, des tas, comme des…