Doit-on tolérer l’intolérance ?
Les hommes tolérants ont une qualité incontestable : ils savent s’abstenir d’intervenir et n’empêchent en rien cela même qu’ils désapprouvent. Ces martyrs acceptent stoïquement l’attitude dumasochiste : même ce qui leur déplaît trouve finalement grâce à leurs yeux. Ils l’acceptent poliment. Indulgents (ou lâches ? ou salauds ? ou pervers ?), ces héros permettent à l’intolérance même d’êtreeffectivement tolérée. Sympa !? Comme la politesse, la tolérance est le lubrifiant du mécanisme social. La politesse, hypocrite au premier abord, est en fait une vertu louable : en nous forçant à souriredevant des êtres détestables parce que “cela se fait” (et surtout parce qu’on y a intérêt), la politesse nous oblige finalement à trouver de l’aimable dans le plus détestable. De la même façongrinçante, la tolérance est une vertu : le tolérant s’efforce de supporter au mieux ce qui ne lui plaît guère au premier abord.
Faut-il admirer ceux qui tolèrent le mieux les pires maux ? Ceux qui, parexemple, voyant leur pays occupé, ne font rien pour en chasser l’envahisseur ? Les Résistants sont, à proprement parler, intolérants ; mais est-ce bien parce qu’ils n’ont pas assez de qualité d’âme pourlaisser l’occupant jouir de leurs biens ?
Le problème de la tolérance apparaît dans toute sa splendeur dès qu’on la voit se mordre la queue : celui qui tolère l’intolérance, l’intolérable, tolère cequ’il désapprouve et ce qui le menace. Ce n’est pas être neutre, c’est être complice : c’est accepter que le crime soit commis quand on aurait pu l’empêcher. C’est, paradoxalement, approuver ce qu’ondit désapprouver, accepter dans les faits ce qu’on refusait en théorie, donc se rendre responsable par son consentement. Perverse licence pouvant conforter chacun dans son incivisme, dans sonimmoralité, dans ses erreurs ! Mais qui a raison ?
Faut-il être sceptique pour être tolérant ?
On peut se répéter qu’il faut laisser toute personne maîtresse de son destin, même si elle se trompe…