Dissertation sur ta mère
Ce chien maîtriserait jusqu’à 250 mots, et pourrait faire des associations d’idées étonnantes –pour un chien. Et il y a, derrière tout cela, l’énigme du langage : on a toujours présumé que la capacité du bébé à apprendre de nouveaux mots était le résultat de connections de neurones dont lui seul dispose. Rico, un border-collie de 10 ans, vient de démontrer le contraire.
Rico connaît toutd’abord, par leur nom, tous ses jouets, et il en a plus d’une centaine. Ce qui, déjà, est assez impressionnant. Qu’on lui demande d’en apporter un et il le fait sans se tromper dans 90% des cas.
Mais mieux encore, à la grande surprise des scientifiques, Rico se révèle capable de faire des associations d’idées : face à sept jouets dont un qui lui est inconnu, si on lui lance un nom inconnu, il irachercher, sept fois sur dix, l’objet inconnu. Et il se rappellera du nom de cet objet un mois plus tard.
Exemple d’association d’idée : je ne connais pas ce nom, je ne connais pas cet objet, peut-être les deux vont-ils ensemble. C’est là une étape cruciale dans le développement du langage, qu’un humain n’atteint pas avant l’âge de trois ans.
Même chez les chimpanzés, de nombreuses études sur lelangage n’ont pas permis d’observer une telle association d’idées.
Pour Julia Fischer, de l’Institut Max-Planck d’anthropologie de l’évolution à Leipzig, c’est ainsi que le langage a dû émerger, il y a des centaines de milliers d’années : nos ancêtres humains ont dû, petit à petit, nommer les objets qui les entouraient, au fur et à mesure de l’évolution de leurs besoins. C’est également ainsi qu’unenfant apprend à parler, en mémorisant ce que les adultes lui disent (10 mots par jour à partir de l’âge de deux ans, disent les psychologues), puis en faisant peu à peu des associations d’idées. Que le chien en soit lui aussi capable, même à un niveau embryonnaire, signifie qu’il s’est engagé lui aussi sur la voie du langage, à notre insu, depuis sa domestication il y a 15000 ans.
L’étude estdevenue la vedette de la dernière édition de la revue américaine Science.
Avec toutes les nuances qui s’imposent, bien sûr. Rico apprend un mot uniquement si on lui désigne un objet, alors que l’enfant peut apprendre en écoutant les adultes. L’enfant peut associer un nom à des gens, des actions, des relations entre deux objets ; Rico n’associe un nom qu’à un objet qu’il peut transporter dans sagueule. Et les sceptiques (voir illustration) vont même plus loin : lorsqu’on dit « chaussette » (sock), Rico pense-t-il à l’objet, ou à l’action de transporter l’objet ?
A l’inverse, les mauvaises langues diront qu’avec un vocabulaire de 250 mots, Rico dépasse déjà certaines vedettes du sport, des arts ou de la politique…
L’intellect de Rico est-il propre à tous les chiens, ou le résultatde croisements particulièrement réussis chez le colley allemand ? Chose certaine, ses talents ont été moussés par de bons propriétaires : blessé à une patte à l’âge de 10 mois, ceux-ci lui ont fait faire de l’exercice en lui apprenant à aller chercher des jouets. De plus en plus de jouets… Il a été repéré par les chercheurs de l’Institut Max-Planck lors d’une apparition à la télévision allemande,qui ont dès lors, avec l’aide des propriétaires, procédé à des expériences dans un environnement contrôlé (voir la description plus bas).
Peut-il apprendre un nouveau mot si on l’associe à un objet qu’il ne peut pas transporter ? Peut-il apprendre à ne pas transporter un objet, donc associer un nom à l’action de ne pas y toucher ? Ce ne sont que quelques-unes des questions auxquels lespsychologues s’attacheront à répondre dans les prochaines années.
Bien sûr, n’importe quel chien un tant soit peu dressé est capable de réagir à un ordre du type : « Médor, cherche la balle ». Pour Rico c’est chose aisée, car l’astreinte qui lui est imposée est d’identifier l’objet parmi plus de 200 autres, puis de le ramener. Quant à Médor, il peut retourner dans sa niche ! Mais Rico fait encore…