De l’institution des enfants
De l’Institution des Enfants
(Livre 1, chapitre xxv)
Il s’agit de l’un des textes les plus célèbres des « Essais » dans lequel Montaigne énonce les principes de son idéal pédagogique et évoque au passage sa propre éducation : former le jugement plutôt qu’accroître le savoir, tenir compte de la personnalité de l’élève et ne pas recourir à la contrainte,affermir le corps autant que l’esprit.
Extrait :
« Qu’il luy(lui) face tout passer par l’estamine (étamine), et ne loge rien en sa teste par simple autorité, et à crédit. Les principes d’Aristote ne luy(lui) soyent (soient)principes, non plus que ceux des Stoiciens ou Epicuriens : Qu’on luy(lui) propose cette diversité de jugements, il choisira s’il peut : sinon il en demeurera en doute. Il n’y aque les fols certains et résolus.
« Che non men che saper dubbiar m’aggrada. »
Car s’il embrasse les opinions de Xenophon et de Platon, par son propre discours, ce ne seront plus les leurs, ce seront les siennes. Qui suit un autre, il ne suit rien : Il ne trouve rien : voire il ne cherche rien. « Non sumus sub rege, sibi quisque se vindicet. ».Qu’il sache, qu’il scait (sait), au moins. Il fautqu’il semboive(s ’emboive ) leurs humeurs, non qu’il apprenne leurs preceptes : Et qu’il oublie hardiment s’il veut, d’où il les tient, mais qu’il se les scache(sache) approprier. La vérité et la raison sont communes à un chacun, et ne sont non plus à qui les a dites premièrement, qu’à qui les dict(dit) après. Ce n’est non plus selon Platon, que selon moy(moi) : puis que luy(lui) et moil’entendons et voyons de mesme(même) Les abeilles pillotent deçà delà les fleurs, mais elles en font après le miel, qui est tout leur ; ce n’est plus thin(thym), ny marjolaine : Ainsi les pièces empruntées d’autruy,(autrui) il les transformera et confondera, pour en faire un ouvrage tout sien : à scavoir(savoir) son jugement. Son institution, son travail et éstude(étude)ne vise qu’à le former.Qu’il cèletout ce dequoy(duquel) il a esté(ete) secouru, et ne produise que ce qu’il en a faict(fait). Les pilleurs, les emprunteurs, mettent en parade leurs bastiments, ( bâtiments) leurs achapts,(achats) non pas ce qu’ils tirent d’autruy(autrui). Vous ne voyez pas les espices(épices)d’un homme de parlement : vous voyez les alliances qu’il a gaignées, et honneurs à ses enfants. Nul ne met encompte publique sa recette : chacun y met son acquest( acquêt) ».
Commentaire :
Bien que cet extrait apparaisse dans un essai s’intitulant « De l’institution des enfants », Montaigne envisage un programme de formation qui concernerait d’abord le maître
« Qu’il lui fasse ». Dès la première phrase l’ambiguïté est permise, notamment dans l’indécision quant au pronom personnel ‘lui’ dans « lesprincipes d’Aristote ne lui soient principes ». L’institution, comme il la conçoit, cette éducation donnée, n’est pas de celles qui soient reçues en collège dont il garde un souvenir de cruauté et d’étroitesse d’esprit « une vraie geôle de jeunesse captive » .
Montaigne n’use pas moins de neuf subjonctifs, subjonctif qui par définition est une idée regardante sur le procès, jouant sur lespropositions subordonnées et les phrases injonctives.
Ce qui compte d’abord pour Montaigne est la formation du jugement « Son institution, son travail et étude ne vise qu’à le former ». L’éducation est cité à deux reprises dans le texte et il est à noter un passage de la pluralité « jugements » à la singularité.
Une diversité parcourt le texte grâce aux marques du pluriel notamment « les opinions,leurs humeurs, leurs préceptes, les pièces », la métaphore « les abeilles pillotent deçà, delà les fleurs », ainsi que l‘abondance de référents allant des philosophes grecs à l‘auteur italien Dante en passant par le philosophe latin privilégié des humanistes Sénèque. L’enfant doit donc être exposé à une véritable palette de références « qu’il cèle tout ce de quoi il a été secouru ». Cependant…