Corneille, la place royale, acte v, scène 3, 1356-1397
Corneille, La Place royale, V, 3, 1356-1397
Quelle subversion de son principe depuis qu’Alidor prônait la supériorité de la liberté sur l’amour à l’Acte I, 2, v. 212 «Je veux que l’on soit libre au milieu de ses fers». Ce rythme parfaitement binaire de cet alexandrin semblerait bien marquer la détermination d’Alidor à ne plus aimer son amante, Angélique, et à la céder à son ami Cléandre.Cette volonté fut mise à exécution par deux duperies successives: à l’Acte II, 1-2, où Polymas, valet d’Alidor, à la demande de ce dernier, apporte un billet à Angélique affirmant qu’elle est soi-disant trompée par Clarine. Si elle le repousse, non sans souffrance (II,3), elle se tourne alors plutôt vers Doraste, frère de son amie Phylis, que Cléandre. Ainsi, les Actes III-IV voient Alidor seconsacrer à «l’enlèvement d’Angélique», le jour du bal de célébration de son futur hymen avec Doraste, pour qu’elle appartienne définitivement à Cléandre. Sauf qu’il joue de malchance à cause de la nuit 2: il montre Phylis au lieu d’Angélique à son ami. L’Acte V est la conclusion logique de l’Acte IV: Doraste perd sa soeur parce qu’elle contraint Cléandre au mariage (V, 1-2), mais aussi Angéliquepuisqu’il se sent trahi étant donné que cette dernière supercherie prouve, selon lui, qu’elle préfère Alidor (V, 4-5-6) et met donc un terme à sa relation. Par là-même, Angélique perd ses deux prétendants, l’un trahissant, l’autre trahi, et «Un cloître est l’objet de mes désirs» (V, 7, v.1556). Seule Phylis semblerait s’en sortir le mieux. Même Alidor est perdant: Echouant à marier Cléandre avec Angélique,cet échec le ferait aimer à nouveau par ironie tragique. Son monologue de l’Acte V, 3 apparaît ainsi comme un coup de théâtre: «La honte et le remord rallumèrent ma flamme». Mais ce monologue est ambigüe à un double titre : d’après la fonction de l’Acte V, fonction de dénouement, ne devrait-on pas parler d’un faux coup de théâtre ? Comment affirmer qu’il l’aime à nouveau sous le coup du sort alorsqu’il le remet en cause ? A travers ce monologue d’Alidor, c’est avant tout le sous-titre de la pièce La Place royale ou l’amoureux extravagant qui est illustré. Non content de reconstruire ses intentions de ses actions pour qu’elles soient toujours en sa faveur au moment présent, il se pose comme une «victime» du destin. Dès lors, bien loin de clarifier sur son amour, il ne fait que le rendreplus impénétrable que jamais.
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Ce monologue d’Alidor justifie pleinement le sous-titre, l’amoureux extravagant et supplante pendant le temps d’une scène le titre de la pièce. En effet, extravagant signifie «dont la raison, l’imagination sont déréglées». Dérèglement de la raison parce qu’elle dépasse dialectiquement l’échec de ses projets pour la réussite. Et, dérèglement de l’imaginationparce qu’il la prend pour une réalité. Compris ainsi, le monologue s’apparenterait à une rhétorique du mensonge qui servirait avant tout à essuyer les échecs successifs d’Alidor. Ainsi, cette position victorieuse ne renverrait à aucune réalité, mais elle serait une construction fondée autant sur une reconstruction des intentions de ses actions passées que sur un futur plié à son imagination. Eneffet, l’ironie tragique permet de transformer les échecs de ses projets passés en une réussite amoureuse. Ceux-ci n’ayant plus pour finalité la victoire de la liberté
sur l’amour, mais la victoire de l’amour sur la liberté. Cette justification du renversement est aussi bien symbolique que rationnel. «Aveugle, cette nuit m’a redonné le jour» reprend le topos du devin aveugle, exprimé sous formed’oxymore, qui voit mieux que le voyant. Puis, en guise de conclusion, il invoque l’argument axiologique: «Aussi j’en fus honteux, et confus dans mon âme / La honte et le remord rallumèrent ma flamme». Or, il est problématique car quand bien même Alidor dans ses précédents monologues (IV,1-5) effleurait la question, cela ne l’empêcha pas de continuer. Cette idée d’ironie tragique factice peut…