Britanicus
t je bénis déjà cette heureuse froideur,
Qui de notre amitié va rallumer l’ardeur.
Quoi que Pallas ait fait, il suffit, je l’oublie ;
Avec Britannicus je me réconcilie ;
Et, quant à cet amour qui nous a séparés,
Je vous fais notre arbitre, et vous nous jugerez.
Allez donc, et portez cette joie à mon frère.
Gardes, qu’on obéisse aux ordres de ma mère.
Scène 3
Néron, BurrhusBURRHUS
Que cette paix, Seigneur, et ces embrassements
Vont offrir à mes yeux des spectacles charmants !
Vous savez si jamais ma voix lui fut contraire,
Si de son amitié j’ai voulu vous distraire,
Et si j’ai mérité cet injuste courroux.
NERON
Je ne vous flatte point, je me plaignais de vous,
Burrhus : je vous ai crus tous deux d’intelligence ;
Mais son inimitié vous rend ma confiance.
Ellese hâte trop, Burrhus, de triompher :
J’embrasse mon rival, mais c’est pour l’étouffer.
BURRHUS
Quoi, Seigneur !
NERON
C’en est trop : il faut que sa ruine
Me délivre à jamais des fureurs d’Agrippine.
Tant qu’il respirera je ne vis qu’à demi.
Elle m’a fatigué de ce nom ennemi ;
Et je ne prétends pas que sa coupable audace
Une seconde fois lui promette ma place.BURRHUS
Elle va donc bientôt pleurer Britannicus ?
NERON
Avant la fin du jour je ne le craindrai plus.
BURRHUS
Et qui de ce dessein vous inspire l’envie ?
NERON
Ma gloire, mon amour, ma sûreté, ma vie.
BURRHUS
Non, quoi que vous disiez, cet horrible dessein
Ne fut jamais, Seigneur, conçu dans votre sein.
NERON
Burrhus !
BURRHUS
De votre bouche, ô ciel ! puis-jel’apprendre ?
Vous-même sans frémir, avez-vous pu l’entendre ?
Songez-vous dans quel sang vous allez vous baigner ?
Néron dans tous les coeurs est-il las de régner !
Que dira-t-on de vous ? Quelle est votre pensée ?
NERON
Quoi ! toujours enchaîné de ma gloire passée,
J’aurai devant les yeux je ne sais quel amour
Que le hasard nous donne et nous ôte en un jour ?
Soumis à tous leursvoeux, à mes désirs contraire,
Suis-je leur empereur seulement pour leur plaire ?
BURRHUS
Et ne suffit-il pas, Seigneur à vos souhaits
Que le bonheur public soit un de vos bienfaits ?
C’est à vous à choisir, vous êtes encore maître.
Vertueux jusqu’ici, vous pouvez toujours l’être :
Le chemin est tracé, rien ne vous retient plus ;
Vous n’avez qu’à marcher de vertus en vertus.
Mais, si devos flatteurs, vous suivez la maxime,
Il vous faudra, Seigneur, courir de crime en crime,
Soutenir vos rigueurs par d’autres cruautés,
Et laver dans le sang vos bras ensanglantés.
Britannicus mourant excitera le zèle
De ses amis, tout prêts à prendre sa querelle.
Ces vengeurs trouveront de nouveaux défenseurs,
Qui, même après leur mort, auront des successeurs :
Vous allumez un feu qui nepourra s’éteindre.
Craint de tout l’univers, il vous faudra tout craindre,
Toujours punir, toujours trembler dans vos projets,
Et pour vos ennemis compter tous vos sujets.
Ah ! de vos premiers ans l’heureuse expérience
Vous fait-elle, Seigneur, haïr votre innocence ?
Songez-vous au bonheur qui les a signalés ?
Dans quel repos, ô ciel, les avez-vous coulés ?
Quel plaisir de penser et de direen vous-même :
«Partout, en ce moment, on me bénit, on m’aime ;
On ne voit point le peuple à mon nom s’alarmer ;
Le ciel dans tous leurs pleurs ne m’entend point nommer ;
Leur sombre inimitié ne fuit point mon visage ;
Je vois voler partout les coeurs à mon passage !»
Tels étaient vos plaisirs. Quel changement, ô dieux !
Le sang le plus abject vous était précieux ;
Un jour, il m’ensouvient, le sénat équitable
Vous pressait de souscrire à la mort d’un coupable ;
Vous résistiez, Seigneur, à leur sévérité ;
Votre coeur s’accusait de trop de cruauté ;
Et, plaignant les malheurs attachés à l’empire,
«Je voudrais, disiez-vous, ne savoir pas écrire».
Non, ou vous me croirez, ou bien de ce malheur
Ma mort m’épargnera la vue et la douleur :
On ne me verra point survivre à votre…