Bernardin de st pierre
C’est parce que sa mère a obligé Virginie à partir en France pour y parfaire son éducation que l’héroïne du roman de Bernardin de Saint-Pierre se retrouve dans le vaisseau la ramenant sur l’Ile Maurice. Si avec Paul elle a été élevée dans l’innocence naturelle et la splendeur de ce paysage tropical, l’idylle tourne au drame lors du naufrage du Saint-Géran, comme si par une fatalité tragique elledevait payer son bonheur exotique, fait de sensibilité et de tendresse. Il nous faudra donc dans cette fin de roman étudier tour à tour la façon dont cette nature devient malfaisante, ainsi que les étapes qui mènent inévitablement au sacrifice de la celle qui réincarne l’Iseult médiévale.
Essentiellement localisée dans le premier paragraphe du texte, la description du cadre où se déroule lerécit revêt une apparence apocalyptique.
Cela se manifeste d’abord par l’union des espaces marin et céleste : c’est parce qu’elle est « soulevée par le vent » que la mer « grossissait »; et dans cette tempête les nuages ont une « forme horrible » pareille aux « horribles secousses » que provoque la « furie » des vagues, celles-là mêmes qui sont comparées à « d’énormes voûtes d’eau qui soulevaient tout l’avant »du navire, ainsi submergé et en perdition. Ces reprises lexicales montrent bien que les deux éléments naturels déchaînés ne constituent qu’une seule unité, immense, contre laquelle les humains sont impuissants.
Bernardin de Saint-Pierre accroît l’étrangeté du décor par l’accumulation des contraires, que l’on percevra avec ce « vaisseau presque à sec », du côté de la terre salvatrice (Paul « tantôtmarchant »), avant d’être submergé, du côté de la mer destructrice (« tantôt nageant »). Contraires aussi dans les mouvements : statisme contre dynamisme dans ces nuages qui ont aussi bien « l’immobilité de grands rochers » que « la vitesse des oiseaux », « balayés » et « chassés ». Ou dans le comparant plus poétique de la mer « montagne » (en bas) couronnée par la « neige » d’écume (en haut), dans un contrastede couleurs ainsi rendu plus symbolique encore : aux « flocons blancs et innombrables » qui s’entassent sur une douce « nappe » s’oppose de façon très menaçante l’expression « creusées de vagues noires et profondes ». A cela s’ajoute, comme un point d’orgue, la tonalité péjorative des couleurs qui dépeignent la fin du § : non seulement « on n’apercevait aucune partie azurée du firmament », mais seulerègne « une lueur olivâtre et blafarde », où l’on ignore s’il fait jour ou nuit. La force de toutes ces antithèses souligne le renversement qui affecte ce spectacle total, allant du positif au négatif. Il en va de même de cette douce neige qui deviendra avalanche lorsque les derniers mots résumeront l’anéantissement du navire et des humains en « hélas ! tout fut englouti. »
L’insistance sur cedéchaînement des éléments se traduit par une reprise avec personnification : le passage » une montagne d’eau d’une effroyable grandeur s’engouffra entre l’île d’Ambre et la côte, et s’avança en rugissant vers le vaisseau, qu’elle menaçait de ses flancs noirs et de ses sommets écumants » donne une image pittoresque quasi mythologique. N’a-t-on pas affaire ici à un fauve écumant de bave dont les flancsmonstrueux n’ont d’égal que ses rugissements que l’on entend dans les allitérations en F, R, S et M et assonances en voyelles ouvertes (a/an, é). Ainsi l’unité phonique et l’unité sémantique soulignent-elles cette « vue terrible » de la scène (reprenant le « si terrible danger ») qu’a le lecteur aussi bien que l’équipage impuissant. Il s’agit ici d’un épisode narratif où les passés simples se détachent surles imparfaits à valeur durative-répétitive qui posaient initialement le cadre naturel.
Venons-en ainsi naturellement au combat épique que tentent de livrer aussi bien le héros éponyme, Paul, qu’un matelot (adjuvant), pour secourir Virginie, prisonnière à bord comme le fut chez les Grecs la douce Andromède ligotée et livrée au Triton, monstre de Poséidon, avant que Persée ne vienne la…