Baudelaire
Analyser un poème en prose
Louise Gérin
Collège Jean-de-Brébeuf
La nouvelle grammaire propose une grille de lecture fort utile pour analyser un petit poème en prose de Baudelaire, grille qui ne repose pas sur la versification traditionnelle, mais sur les multiples ressources syntaxiques de la langue. Dans cette forme brève, la division des paragraphes, la structure des phrases, les procédésd’énonciation prennent un relief particulier puisqu’ils ne sont déterminés par aucune règle et que le poète agence les phrases en toute liberté « pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience[1] ».
|Les fenêtres|
|1 |Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n’est|
| |pas d’objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu’une fenêtre éclairée d’une chandelle. Ce qu’on |
| |peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui sepasse derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la |
| |vie, souffre la vie. |
|2 |Par delà des vagues de toits, j’aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec |
| |sonvisage, avec son vêtement, avec presque rien, j’ai refait l’histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la |
| |raconte à moi-même en pleurant. |
|3 |Si c’eût été un pauvre vieux homme, j’aurais refait la sienne tout aussi aisément.|
|4 |Et je me couche, fier d’avoir vécu et souffert dans d’autres que moi-même. |
|5 |Peut-être me direz-vous : « Es-tu sûr que cette légende soit la vraie ? » Qu’importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle |
| |m’a aidé à vivre, à sentir que je suis etce que je suis ? |
|Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris, poème XXXV |
Grammaire du texte
La première partie du poème, qui correspond au premier paragraphe, est marquée par la reprise d’un élément du titre : le nomfenêtre. Ce nom est répété trois fois avec le déterminant une ; puis il est repris par un terme associé (« une vitre ») et par la métaphore « ce trou noir ou lumineux », ces deux reprises se trouvant en progression linéaire. L’idée de fenêtre, objet donnant accès à l’imagination, n’est plus nommée par la suite. Ce sont plutôt les verbes dénotant le regard, qui apparaissent dans la zone du thème,qui feront le lien entre ce paragraphe et les autres. La première phrase en contient trois : « Celui qui regarde […] ne voit jamais autant […] que celui qui regarde […] » ; le verbe voir est repris dans le groupe sujet de la troisième phrase (« Ce qu’on peut voir… ») ; ces deux verbes sont ensuite relayés par un synonyme, « j’aperçois », utilisé dans la première phrase de la deuxièmepartie du poème.
La deuxième partie, racontant une expérience personnelle, présente une progression à thème constant puisque le pronom je est repris de phrase en phrase comme thème. Le propos détaille l’expérience : apercevoir quelqu’un, refaire son histoire, se la raconter, s’y identifier (« avoir vécu et souffert dans »), se coucher.
L’organisation du texte s’appuie moins sur des organisateurs…