Prophéties

novembre 20, 2018 Non Par admin

L’impact des croyances auto-réalisatrices sur les pratiques de management.

Le réel n’est que la somme de nos expériences

Giambattista Vico (1668-1744)

Pierre Louart,
ESUG, UT1, 1999

Cet essai sans prétention vise à rappeler que l’être humain modifie le monde dont il est partie prenante (Popper, 1979). La subjectivité de l’homme est une partie de la réalité dans laquelle il se trouveet qu’il tâche de rendre objective pour fonder sa connaissance ou son action.

Comme le soulignait Kant (1787), nous jugeons du réel à partir des phénomènes que nous en percevons, en deçà d’un monde nouménal qui ne nous est pas directement accessible. Notre objectivité n’est qu’imparfaite, car intérieure à la pensée. C’est un monde d’expérience. Nous construisons des modèles partiels d’uneréalité que nous contrôlons en la réduisant, dans un jeu toujours relatif et provisoire (Ashby, 1958)[1]. Nos interprétations actives deviennent notre réalité[2].

Dès lors, les croyances ont une grande importance. Elles aident à compléter le réel connu (ou probable) par des représentations porteuses de sens. Les moins heureuses prétendent à la connaissance, rassurent les convictions ou installent despréjugés qui déforment le potentiel d’action. Les plus ouvertes ont un sens actif. Elles se savent provisoires et continuent d’interroger. Elles suscitent la volonté d’apprentissage ou le besoin d’activité.

Notre but, ici, n’est pas de détailler les jeux subjectifs de la conscience humaine. Il n’est pas d’inventorier ses faiblesses : une centration sur soi, une contamination par les émotions,une préférence cognitive pour la crédulité. Rappelons seulement, à ceux qui parlent avec aplomb de rationalité, combien l’homme est capable de désordres internes, combien il sait garder en lui de savoirs contradictoires en laissant la survie ou l’émotion submerger sa pensée.

Ce qui nous intéresse ici, c’est le destin des croyances actives, celles qui prévoient et agissent en conséquence. Nousles étudierons à partir de leur degré d’implication opérationnelle et de leur réalisme initial.

1. Le futur est affecté par les interprétations dynamiques de la réalité

1. 1. Quatre histoires

Voici d’abord quatre cas où une perception partielle se mêle à des croyances et pousse à des comportements qui infléchissent le réel. Ces cas sont anecdotiques, pour le plaisir, et parce que lesparaboles nous parlent avec plus de force que le seul raisonnement.

Comme on le verra dans ces histoires-enseignements, les résultats peuvent être temporaires (quasi-réversibilité) ou durables (autoréalisations irréversibles).

Le processus est double :

– les « perceptions » initiales sont aussi des « façons de voir » ; elles incluent des visées temporelles et une subjectivité interprétative ;leur énergie est émotionnelle (incitative dans les deux premiers cas, répulsive dans les deux suivants).

– elles engendrent une dynamique comportementale (car elles ont leur origine et sont impliquées dans des schèmes d’action).

Cas I.

« En mars 1979, les journaux californiens commencèrent à faire beaucoup de bruit autour d’une imminente pénurie d’essence. Les automobilistes se ruèrent alorssur les pompes à essence pour remplir les réservoirs de leurs véhicules. Cette bousculade soudaine épuisa les réserves disponibles et entraîna la pénurie annoncée »[3].

Cas II.

Régent de la langue classique, Vaugelas passa toute sa jeunesse en Savoie (qui n’était pas encore française). Il en garda toute sa vie un fort accent provincial. L’homme était, par ailleurs, étranger à la languecourante qui se pratiquait dans la région parisienne au sein des classes ordinaires. Homme des salons, il se méfia des parlers vernaculaires et prit la défense du langage de cour qui était sa référence. Il y avait chez Vaugelas une peur de l’innovation langagière, un dégoût de ce qu’il connaissait si mal. Hélas, son opinion fut décisive, confortée qu’elle fut par les bavardages mondains[4].

Cas…