Un roi sans divertissement
Commentaire : La battue au loup p142 – 144 (folio)
Jean Giono est un écrivain et scénariste français, né en 1895 et mort en 1970. Dans son œuvre, on note deux périodes : avant la guerre, son œuvre était appréciée pour son lyrisme, considérée comme un hymne à la nature et à l’harmonie. Mais la guerre et le double emprisonnement qu’il a connus ont modifié son regard sur le monde et sur l’homme.En 1946 Il publie Un roi sans divertissement. Toute l’œuvre est enclavée dans le titre, citation inachevée, et la question qui la clôture et dont Giono connait trop bien la réponse « Qui a dit: “Un roi sans divertissement est un homme plein de misères ?” » : Pascal, dans ses Pensées (fragment 142).
Ce roman est une chronique d’un village isolé des Alpes où se déroule chaque hiver, entre 1843 et1845 de mystérieuses disparitions. Ce passage est celui de la chasse, au centre du livre, qui marque l’apothéose du divertissement. La battue mobilise le village entier, enrôlé sous les ordres de Langlois. Ici les chasseurs arrivent au fond de Chalamont, où se terre le loup.
I – La chasse comme divertissement
rassemble les villageois et Langlois sous un prétexte commun : punir le loup
Labattue mobilise le village entier, le but de l’opération (le meurtre du « Monsieur ») est très utile, approuvé par tous.
La battue est vue comme un spectacle
Pascal citait la chasse et la guerre comme « divertissements ». Giono reprend ce thème de la chasse, mais ce qui est proprement divertissant, ce n’est pas la mise à mort du loup, ni même la prise, mais tout le cérémonial déployé autour dela prise. Cette cérémonie agite la lourde monotonie du village et pousse chacun à se sublimer, à être à la hauteur de la qualité de l’instant. Dans les lignes qui précèdent l’extrait, nous savons que chacun a revêtu son plus bel uniforme : Mme Tim et Saucisse sont en grande toilette de chasse, les cors de chasse et les crécelles sont de sortie, c’est une véritable fête, sonore et colorée : « àgrand renfort de fanfare, de télégraphes et de cérémonies ». Le « va-et-vient des torches-colombes » qui voltigent.
Cérémonie religieuse, sacrée
L’atmosphère étrange est introduite par le jeux de la nuit et des torches. Quand approche l’instant de la mise à mort, Langlois investit la charge symbolique de grand prêtre sacrificateur. Cette cérémonie de la mort s’accomplit dans un silencesurnaturel où Langlois, obéissant à un rituel mystérieux, paraît transfiguré « “Paix !” dit Langlois, et il resta devant nous bras étendus comme s’il planait. ». Sa posture est celle d’un christ en croix ; c’est un moment de communion très fort entre les hommes, la nature et la bête. Ce moment où tout semble s’arrêter se débouche sur « deux coups de pistolets tirés à la diable » qui rompent le charme.II – Une vision négative de l’humanité
Langlois : un leader charismatique
Giono a fait de la battue une chasse qui se donne les allures d’une guerre, moins les risques. La chasse divertit Langlois parce qu’elle donne un rôle à jouer à cet ex-capitaine de gendarmerie. Langlois fait sonner les corps de chasse comme un général en chef jadis aurait fait donner les clairons pour l’attaque ; delui vers les chasseurs ce ne sont que messages qui circulent, transmission de plans d’attaques et d’encerclement : quel chef d’état major ! Quelle importance prend-il soudain ! « Sans Langlois, quel beau massacre ! Au risque de nous fusiller les uns les autres. Au risque même, au milieu de la confusion des cris, des coups, des couillonades […] de lui permettre de faire le saut de carpe qui l’auraitfait retomber dans les vertes forêts. ».
Les chasseurs : l’humanité moyenne aime à être commandée et se sent alors valorisée
Enrôlés sous les ordres de Langlois.
Les hommes éprouvent le même orgueil d’être avec lui dans la battue au loup, et cette fierté qu’ils ont de lui, ils espèrent la lui inspirer à leur tour.
En somme, la chasse divertit surtout parce qu’elle donne un rôle à jouer à…