Le vote, un droit pour tous
L’article premier de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 proclame : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ». L’article 3 en est le corollaire: « le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d ‘autorité qui n’en émane expressément »; au même titre que l’article 6 qui affirme :« la loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. »
L’universalité du droit de suffrage se déduit de ce corpus. Les élections permettent de nommer les titulaires de certaines fonctions publiques, et comme le vote est le moyen par excellence de désignation, tous les nationaux devraient endisposer. « Le vote, un droit pour tous », depuis un décret du 5 mars 1848 a-t-on longtemps lu dans les manuels d’histoire politique et constitutionnelle de la France, sans se soucier de son défaut de prise sur la réalité. Le suffrage universel, jusqu’à la disparition de l’Empire colonial français, une notion creuse ?
Dans les faits, tous n’ont pas eu accès à la citoyenneté, conditionindispensable à l’exercice du droit en question. On relève par exemple ceux dont les incapacités ont été prévues par la loi et les tribunaux– cas des mineurs, des majeurs en tutelle, des aliénés mentaux et de ceux ayant contrevenu à certaines dispositions du Code pénal –et qui ne semblent pas atteindre les droits fondamentaux. Dans un tout autre registre, on n’a pu que constater que des catégories entièresdes personnes ont été exclues du droit de Cité, privées qu’elles étaient du droit de suffrage et de représentation, alors même qu’elles étaient en droit d’y prétendre étant, par leur appartenance à la Nation reconnus par le Régime et ses fondamentaux. C’est sur ce décalage entre le droit et la réalité qu’il importe de s’interroger. Peut-on parler d’universalité du droit de suffrage, compte tenude la sélectivité opérée dans la reconnaissance de la citoyenneté ?
Les lignes de partages entre citoyen français et non-citoyen, autrement dit l’inégalité de fait entre les hommes, ont longtemps contredit le caractère postulé universel du droit de suffrage (I). Toutefois, les évolutions contemporaines offrent la perspective d’un régime plus en accord avec ses principes, et dans lequel lesuffrage universel a une réalité (II).
L’exclusion de catégories de personnes du droit de vote et sa justification par l’Etat, la doctrine ou la persistance de certains lieux communs enracinés dans les mœurs, porte sérieusement atteinte au principe d’ égalité juridique et politique, et a fortiori au principe d’universalité du suffrage qui en découle – théoriquement – nécessairement.En premier lieu dans l’histoire contemporaine de la France, le principe d’égalité de droit ne fut pas pris en compte pour l’instauration des règles relatives au système électoral. Les constituants n’envisageaient pas de confier le pouvoir d’élire et de voter les lois à des hommes dépourvus d’une certaine fortune leur permettant, estimait-on, de se sentir concernés par l’intérêt public.A fortiori, le suffrage des femmes n’était même pas envisagé (cf. développement ci-après). Dans un projet de Déclaration présenté au comité de constitution, les 20 et 21 juillet 1789, Sieyès défend l’idée de suffrage restreint : « Tous les habitants d’un pays doivent y jouir des droits de citoyen passif : tous ont droit à la protection de leur personne, de leur propriété, de leur liberté, maistous n’ont pas droit à prendre une part active dans la formation des pouvoirs publics…Ceux-là seuls qui contribuent à l’établissement public sont comme les vrais actionnaires de la grande entreprise sociale. Eux seuls sont les véritables citoyens actifs. » L’exercice du suffrage est ainsi conçu comme une fonction et non plus comme un droit. La motivation sous-jacente de cette première exclusion…